Présent depuis 1967 à Fontainebleau, le CNFSR abrite, en sa salle de tradition, une collection de motocyclettes administratives référencée comme l’une des plus belles au monde. Issus du service ou des expérimentations, près de 70 engins retracent l’épopée motocycliste de la Gendarmerie à travers le XXe siècle, témoignant ainsi de l’extraordinaire propension des gendarmes à couvrir les espaces.

En effet, depuis l’invention en 1867 du vélocipède à vapeur par Louis Guillaume Perreaux, plusieurs entrepreneurs s’attachent à équiper des bicyclettes avec de petits moteurs thermiques qui se révèlent parfaitement adaptés au format des routes et chemins, tout en restant financièrement accessibles au plus grand nombre. Ces bicyclettes dites « à moteur auxiliaire » seront les premières à équiper les gendarmes à la veille de la grande guerre. Cette invention va ainsi traverser le XXe siècle dans les mains des gendarmes, avec, au gré des évolutions techniques, des appellations évocatrices telles que : « solex », « 101 », « 102 ».

Les premières motocyclettes

En parallèle et à la fin du premier conflit mondial, plusieurs expérimentations conduites par l’Armée de Terre intéressent la Gendarmerie qui contracte son premier achat centralisé de motocyclettes de grosse cylindrée en choisissant la 350 Dollar.

Convaincue par cet engin, la Gendarmerie conclura plusieurs marchés décentralisés (notamment des Terrot, Monet Goyon, Gillet, etc.) qui permettront d’équiper les premières brigades motorisées, puis les brigades mixtes (comptant souvent des chevaux et des bicyclettes en plus du noyau motocycliste). Aucune véritable formation n’existe alors et tant pour des questions de capacité d’emport comme de sécurité, nombre de motocyclettes acquises dans les années 30 seront couplées à un side-car.

Ces motocyclettes et side-cars (dont l’ingénieux « Gnome et Rhône AX2 » à deux roues motrices) seront « préemptés » dès 1940 par l’envahisseur allemand pour ses troupes d’occupation puis réaffectés à la Libération à la Gendarmerie qui voit, en 1949, ses engins équipés d’une plaque avant distinctive portant immatriculation (souvent précédée du G de gendarmerie puis d’une grenade).

Dans le même temps, en 1946, dans un pays exsangue, la Gendarmerie va étoffer son parc grâce à des motocyclettes issues du hasard des conflits armés. Elle se voit notamment confier plusieurs centaines de Harley Davidson 43WLC, de piètre fiabilité, quasiment abandonnées par le libérateur américain. Elle bénéficie également des engins laissés par l’occupant allemand et d’un important stock de pièces qui est rapatrié à Neuilly au sein du Centre de Mécanique et de Réparation (CMR) puis mis en valeur par le CEMEC (Centre d’Étude des Moteurs à Explosion et à Combustion, installé à Bièvres), avant que l’entreprise Ratier n’en rachète les brevets pour poursuivre la production des fameuses L7.

La BMW R50/2 : trente ans de service

Si le CEMEC puis Ratier permettent à la Gendarmerie de disposer d’engins modernes (notamment la C6S) pendant près de 12 ans, l’achat à prix coûtant, en réparation du préjudice de guerre, de motocyclettes BMW sonnera le glas de l’entreprise Ratier. Contrairement aux idées reçues, c’est bien par opportunisme économique, conforté dans les décennies suivantes par la fourniture de modèles réputés fiables, que les motocyclettes bavaroises emporteront la faveur de la Gendarmerie durant près de quarante ans.

Ainsi la R51/3 et surtout la fameuse R50/2, acquise dès 1960 et dont les derniers modèles seront réformés en 1990, initient une longue série de commandes auprès de la marque à hélice.

BMW R51/3 (1960) – © D.R.

Connue de tous avec sa silhouette incomparable, sa fourche à triangle, sa livrée noire austère rehaussée de liserés blancs, ses clignotants en bout de guidon et ses deux cylindres proéminents, la R50/2 est devenue la « motocyclette des gendarmes », qu’ils soient « anges de la route », chargés des premiers contrôles de vitesse ou inscrits dans la filmographie populaire.

Fiable et rustique, cette motocyclette imprime sa patte pendant trente ans auprès des motocyclistes formés à Fontainebleau en étant la motocyclette des instructeurs dans les années 60, puis des stagiaires dès 1970 pour les sorties sur route, puis en terminant son vaillant service sur les pistes spéciales du site de Polygone. Les derniers exemplaires ont traversé les années 80 en étant relégués à l’apprentissage du freinage d’urgence (alors qu’il ne s’agissait pas de leur qualité première). Cette motocyclette singulière a surtout contribué à suggérer, par ses caractéristiques techniques, les prémices de la fameuse trajectoire enseignée à Fontainebleau.

Cette dernière, définie empiriquement pour exploiter les qualités dynamiques des motocyclettes administratives, a longtemps été l’apanage des seuls gendarmes. Jalousement gardée pendant plusieurs décennies, aujourd’hui exportée auprès du grand public, cette trajectoire atypique est le socle de la culture motocycliste de la Gendarmerie.

BMW R50/2 (1960) – © D.R.

Leitmotiv sécuritaire d’une circulation en équilibre précaire, elle a fait l’objet d’une importante conceptualisation au début des années 2000 et est aujourd’hui universellement reconnue pour l’anticipation et le style parfaitement identifiable qu’elle confère au motocycliste qui l’adopte.

Chevillée à la Gendarmerie dont elle a marqué le style pendant 30 ans, la R50/2 a logiquement été choisie pour trôner au centre du brevet métallique motocycliste (GNS055) en témoignage de l’héritage technique que cet engin atypique a livré aux motocyclistes de la Gendarmerie.

Les premières motocyclettes bleues

En 1969, BMW fait évoluer sa gamme et la Gendarmerie logiquement continue de faire confiance à la marque en acquérant des R60/5 au gré des renouvellements. En 1974, une première révolution vient rajeunir l’image du gendarme motocycliste avec la commande de plusieurs centaines de R60/7 en livrée « bleu de France ». Première motocyclette carénée, dotée de freins à disques, elle a été accueillie avec fierté dans les unités motorisées. Mal née en raison d’une position très inconfortable, elle fut rapidement suivie par les BMW R80 dont le carénage et la bulle étaient nettement plus protecteurs, puis par les R80RT et R65TIC qui marquèrent l’aboutissement du concept de la motocyclette polyvalente, aussi à l’aise sur l’autoroute, en escorte d’autorité ou de course cycliste, que stationnée le long d’une départementale.

L’arrivée en 1990 de la K75RT affiche plusieurs innovations tangibles. En choisissant d’acquérir des motocyclettes dites de « grand tourisme » comprenant un carénage véritablement protecteur, un ABS qui montre, malgré un très bon niveau de pilotage des militaires de la gendarmerie, toute sa pertinence et qui devient incontournable dans les cahiers des charges ultérieurs, l’Institution fixe un emploi résolument routier pour ses motocyclettes, avec une même gamme pour équiper les deux entités motorisées que sont les PMO (départementaux) et les escadrons autoroutiers. La départementalisation des EDSR en 1999 n’en sera que plus aisée, d’autant que les modèles choisis restent dans le haut de gamme de la production mondiale avec successivement des R1100RT puis des R1150RT, dont certaines sont toujours en service.

2005 : les premières routières japonaises

L’année 2005 marque un tournant important puisqu’il voit arriver, au sein du prestigieux escadron motocycliste de la Garde Républicaine, la première dotation importante de motocyclettes japonaises avec la Yamaha 1300 FJR. Son achat sera poursuivi dans le cadre des marchés triennaux qu’elle remportera quatre fois en évoluant au gré des attentes du terrain (écopes, amortisseurs, sacoches).

En parallèle des grandes vagues d’achats destinés aux unités motorisées, des marchés « de niche » sont régulièrement passés en comptant quelques dizaines à quelques centaines d’exemplaires, pour des missions spécifiques ou pour l’instruction.

Ainsi, les MTT, les motocyclettes étroites et discrètes des estafettes parisiennes constituent autant de singuliers marchés tandis que l’escadron motocycliste de la Garde Républicaine réceptionnait de nouvelles unités lui permettant, avec la grande tenue cousue d’or à culotte blanche immaculée, d’incarner en escortant le président de la République, la tradition militaire comme la puissance et le prestige de la France.

Ainsi, à chaque fois qu’un modèle donnait toute satisfaction, la version la plus aboutie, non seulement en termes de motorisation, mais aussi de confort fut choisie pour équiper l’escadron motocycliste. Ce fut le cas pour la prestigieuse Norton Atlas et pour la R60/2 (déclinaison plus puissante de la vaillante R50/2), les R100RT, K100RT et les K1100LT qui ont chacune marqué de leur empreinte motocycliste de nombreuses éditions du Tour de France.

Les expérimentations

Enfin, il ne faut pas oublier que le patrimoine de la Gendarmerie s’est aussi enrichi de modèles rares, voire exotiques, testés avec des fortunes diverses. Ainsi, les « Moto Française » ou « BFG » devaient devenir la vitrine technique nationale avec une motorisation issue de l’ingénierie de Citroën (respectivement le bloc-moteur de la Visa et celui de la GS). Cependant, l’intégration dans un châssis tubulaire posait des problèmes d’équilibre comme de performances, quoique dans le second cas elles soient considérées comme suffisantes par les Douanes qui les employèrent de nombreuses années.

La salle de tradition motocycliste bellifontaine dispose aussi de nombreux modèles de pré-séries administratives. Ainsi, une Norton 850 commando, une 750 SF/2 Laverda, mais également une série inédite de trois Ducati 650 Pantah et de deux 125 Cagiva habilement carénées par Ligier, une Honda 450 CB et des Guzzi ne seront pas retenues pour le service de la Gendarmerie.

Cet inventaire, loin d’être exhaustif, est une invitation à participer au maintien de ce patrimoine mécanique exceptionnel qui ne doit sa pérennité qu’à la volonté des chefs de centre et instructeurs motocyclistes ainsi qu’à l’habileté et à la persévérance des mécaniciens bellifontains.

Creuset de la tradition motocycliste, cette salle est ouverte lors des sorties des cérémonies de fin de formation et sur demande pour des groupes d’une trentaine de visiteurs. Elle est également accessible au public lors des Journées du Patrimoine et lors des Journées Nationales de la Moto et des Motards (JNMM) organisées les 15 et 16 juin prochains, qui réunissent depuis 2013 plus de 7 000 visiteurs, tout autant attirés par une meilleure connaissance de la trajectoire de sécurité des motocyclistes de la Gendarmerie que par des présentations de motocyclettes et des démonstrations qui ponctuent le week-end, tels que le très attendu carrousel des instructeurs.

Source: GENDCOM / Crédit photo: © D.R.