Face à l’explosion des refus d’obtempérer, le département de la Loire-Atlantique expérimente, depuis le début de l’année, la formation de ses personnels à une autre méthode de contrôle, accentuant, d’une part, la mise en œuvre des principes classiques d’intervention professionnelle en amont et pendant les opérations, et d’autre part, privilégiant l’interception différée. L’un des pilotes du projet, le chef d’escadron Gilles Foliard, commandant l’escadron départemental de sécurité routière 44, revient sur cette nécessaire adaptation, qui vise à améliorer la sécurité des gendarmes comme des usagers de la route.
Les forces de l’ordre sont quotidiennement confrontées aux refus d’obtempérer. Un phénomène en pleine expansion depuis quelques années sur l’ensemble du territoire. La Loire-Atlantique ne fait pas exception à la règle, bien au contraire. Quelle est aujourd’hui la situation que vous y constatez ?
À mon arrivée, à l’été 2019, j’ai vécu les mêmes mouvements contestataires que partout en France, notamment la forte occupation des gilets jaunes sur le péage de l’A11, à Ancenis, ainsi que, dans une moindre mesure, sur l’A83, avec des restes de forte opposition aux alentours de l’ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Parallèlement, toutes les nuits, les patrouilles essuyaient des refus d’obtempérer, mettant parfois gravement en danger nos militaires. C’était systématique et croissant, surtout à compter de l’automne 2019, nous obligeant à sortir à trois militaires, voire à quatre, dans deux véhicules distincts, un peu comme sur l’opération Sentinelle. Ce phénomène s’est poursuivi et même amplifié en 2020, jusqu’à survenir en pleine journée.
Avec l’arrivée de la crise sanitaire et les confinements successifs, la circulation s’est évidemment amoindrie, mais les récalcitrants continuaient à refuser toute autorité, surtout en périphérie nantaise. Nos collègues des polices nationale et municipale ont fait le même constat. Il a donc fallu s’adapter, dans l’objectif d’éviter un drame, tant pour la population, que pour les malfaiteurs eux-mêmes et bien sûr dans nos rangs.
Aujourd’hui, le phénomène est toujours très régulier et s’accompagne d’une montée de la violence. Parmi les mis en cause, on retrouve, dans plus de la moitié des cas, des multirécidivistes sans permis de conduire et de plus en plus de mineurs. J’ai en mémoire deux faits récents : d’abord un inconscient qui a refusé sept fois d’obtempérer avant que le Peloton motorisé (P.Mo.) de Pontchâteau (44) puisse enfin le localiser et l’interpeller à son domicile, avec l’appui du Peloton de surveillance et d’intervention de gendarmerie (PSIG) et la Brigade de recherches (B.R.) de Saint-Nazaire (44). Je citerai également le cas de trois adolescents, à Carquefou (44), qui, au volant d’une voiture volée, dont le stopstick avait crevé les pneus, ont roulé sur les jantes durant 30 minutes avant d’être interpellés.
Cela va donc de pair avec une augmentation des conduites dangereuses…
Oui. Absolument. Le rapport à l’autorité et la considération pour autrui évoluent. Certains usagers de la route n’hésitent pas à prendre des risques inconsidérés au volant, et à en faire courir aux autres, même pour des motifs mineurs, voire futiles. Les méthodes des chauffards-malfaiteurs évoluent en mal : emprunt de voie à contresens, y compris sur le Pont de Cheviré ; percussion de nos véhicules pour fuir ; aucune hésitation à se faufiler dans des lieux publics bondés, etc. Ils semblent effectivement prêts à tout pour fuir les forces de l’ordre.
J’ai plusieurs exemples en tête, comme ce fameux jeudi 7 mai 2020, où deux malfaiteurs, au retour d’un cambriolage, ont refusé plusieurs contrôles de gendarmerie, pour finalement s’enfuir par la RN 137 à contresens sur 5 km. Ça s’est terminé par un drame, puisque la Laguna des voleurs a percuté une dépanneuse, provoquant la mort des deux malfaiteurs et blessant légèrement le conducteur de la dépanneuse.
En mai dernier, face à l’explosion des refus d’obtempérer, le Premier ministre a annoncé son souhait de durcir les sanctions, avec le retrait du permis de conduire, une confiscation du véhicule et une peine d’emprisonnement doublée. Côté gendarmerie, le général Roland Zamora, commandant la région de gendarmerie des Pays-de-la-Loire, a estimé qu’il fallait également adapter les modes d’action des gendarmes et vous a chargé de cette mission. Comment l’avez-vous abordée ?
Cette mission m’a en effet été confiée par le commandant de région, mais je ne suis pas le seul à avoir étudié le sujet. Elle a débuté par une analyse départementale. Au-delà du vécu terrain, il a fallu quantifier le phénomène dans le temps et dans l’espace, pour chercher comment le contrer, ou du moins éviter de nouveaux drames.
L’objectif ? Simplement faire comprendre que la sécurité prime sur l’efficacité. Ce temps dédié à l’analyse a montré l’ampleur du phénomène dans la Zone gendarmerie nationale (ZGN) de Loire-Atlantique, avec 417 refus d’obtempérer en 2019 et 368 en 2020, soit toujours plus d’un refus par jour, principalement sur les axes de la périphérie nantaise, en et hors agglomération, du milieu d’après-midi au début de soirée. Un triste podium ZGN que se partagent chaque année la Loire-Atlantique, la Gironde, l’Isère, l’Hérault, etc. Une fois ce constat dressé et l’objectif posé, il a fallu réfléchir à une méthode de travail adaptée. Il a donc été décidé de s’appuyer sur la formation. Nous n’avons rien inventé, les outils existaient. En effet, outre les gestes d’Intervention professionnelle (I.P.), nous avons simplement mis davantage l’accent sur le danger, la logique professionnelle et le bon sens individuel, pour rappeler à chaque gendarme l’ampleur du phénomène ligérien et les potentiels graves dangers, tout cela allié à une pédagogie de forte sensibilisation.
Concrètement, qu’avez-vous mis en place au niveau de la Loire-Atlantique ?
Vu l’ampleur des refus d’obtempérer et l’augmentation des délits de fuite, il était nécessaire de réagir. Comme je l’expliquais précédemment, nous avons choisi de le faire à travers la formation continue, avec un enseignement à distance préexistant sur Gend’form. Je dis « on », car nous sommes quatre à gérer cette formation locale : le major Vincent, commandant le P.Mo. de Saint-Herblain (44) et formateur fraude documentaire, l’adjudant Frédéric, instructeur I.P. du PSIG de Nantes (44), sans oublier la maréchale des logis-chef Sandra, du Groupe commandement (G.C.) de l’Escadron départemental de sécurité routière 44 (EDSR) pour la gestion administrative. Un volet loin d’être négligeable, car à l’issue de chaque séance, il faut récolter les feuilles de présence, les lister et concrétiser le tout dans Agorha.
Après un temps de réflexion collective et une importante préparation, nous avons organisé, le 26 janvier dernier, à Saint-Herblain, une journée de « sensibilisation à la sécurité des contrôles », à destination de 14 référents du groupement : soit un référent I.P. de chaque PSIG et un référent Interception Différée (I.D.) de chaque Brigade motorisée (B.Mo.) et P.Mo., ensuite chargés de relayer, en binôme, l’instruction à toutes les unités élémentaires, y compris les détachements de surveillance et d’intervention de réservistes, et ce en coordination avec les impératifs des Compagnies. Ces sessions d’une demi-journée, par petits groupes, ont débuté dès le mois de février.
En partant du postulat qu’on ne pourra jamais empêcher les refus d’obtempérer, l’objectif est de mettre l’accent sur la sécurité : se protéger et protéger les autres, en évitant de s’exposer, en organisant le contrôle de façon à anticiper cette éventualité, en adoptant une posture adéquate et en privilégiant une interception différée. Ça ne veut pas dire ne plus contrôler ou ne plus intercepter, ça veut juste dire qu’il faut adopter une manière différente de le faire, en envisageant toujours le pire, pour éviter de se faire surprendre…
Aujourd’hui, les courses-poursuites sont bannies et l’interception immédiate, pouvant s’avérer accidentogène, n’est plus la règle, d’autant plus si les conditions de l’intervention et le cadre légal permettent une action différée, préparée et renforcée. Donc, on jalonne en sécurité, on lâche prise si ça devient dangereux, et surtout on renseigne. Tout refus d’obtempérer doit être enregistré avec un minimum de renseignements pour ensuite pouvoir s’attacher à retrouver l’auteur par une double enquête administrative et judiciaire (interrogations des fichiers, réquisitions au CACIR, etc.).
À la fin des séances de sensibilisation, les apprenants peuvent ainsi mieux appréhender l’ampleur du phénomène dans le département. Ils sont davantage sensibilisés à la sécurité des contrôles et plus aptes à conduire les investigations pour retrouver l’auteur d’un refus.
Depuis le 26 janvier dernier, les sensibilisateurs-relais ont déjà formé plus de 700 personnels, avec un objectif de 95 %, début décembre prochain, avant les habituels services anti-délinquance de fin d’année. Bien sûr, il restera toujours les nouveaux arrivants à former.
Comment s’organise cette sensibilisation des personnels ?
Ainsi que je vous le disais, nous n’avons rien inventé, puisque le volet théorique s’appuie sur le vade-mecum « interception en sécurité d’un véhicule refusant d’obtempérer » du Centre national de formation à la sécurité routière (CNFSR) de Fontainebleau (77), où j’ai servi trois ans. On fait surtout appel à l’interactivité par le biais d’échanges, de réflexion collective, de partage d’expériences, en réponse aux questions posées : interception immédiate ou interception différée ? Selon vous, quand lâcher prise ? Quid de l’effet tunnel ?
L’aspect pratique est abordé par le biais de l’I.P. et traite à la fois de l’importance du choix du poste d’interception, par exemple surtout pas en sortie de virage, sans visibilité ; de l’optimisation du placement des militaires, avec le véhicule en protection, en maximisant le poste sous l’angle de caméras si c’est possible, ce qui nous a d’ailleurs permis de résoudre six refus d’obtempérer à Ancenis (44). Et enfin, il est aussi question d’une plus grande application du lâcher-prise.
Quelques semaines après les premières instructions, on en a vu les premiers effets lors d’une opération de contrôle du couvre-feu, conduite le 20 février 2021, à La Chapelle-sur-Erdre (44), d’ailleurs relayée par Ouest-France. Une tentative de refus de contrôle avait été mise en échec grâce à la mise en place préalable d’un dispositif opportun appuyé de herses, et ce devant le sous-préfet et la presse locale. Plus globalement, je vois une évolution sur le terrain, avec de meilleurs emplacements pour les contrôles, des postures plus adaptées ; les personnels anticipent… je constate aussi que davantage de refus d’obtempérer sont résolus par la voie de l’interception différée. Certes, l’enquête n’aboutira pas toujours et il y a une part de chance dans les recherches. Mais encore faut-il parfois aider un peu cette chance. Ainsi, le week-end dernier, la B.Mo. de Pornic a pu résoudre un refus d’obtempérer à bord d’une voiture volée, sans mettre qui que ce soit en danger. C’est grâce à la consultation des enregistrements de la vidéoprotection locale avec la police municipale que l’intéressé, déjà connu et recherché par les gendarmes locaux, a été confondu, avant d’être interpellé en mode différé.
Quelles sont vos préconisations afin de privilégier la sécurité, tant des gendarmes que des usagers de la route ?
Un contrôle routier n’est ni simple, ni banal. Il ne doit pas entrer dans une routine, encore moins être pris à la légère. Élémentaire et essentiel à la sécurité publique, il oblige à des actes réflexes connus, anticipés et appliqués, qui font appel à des notions d’intervention professionnelle et d’appui mutuel, en binôme, voire en trinôme, surtout de nuit. Ces fondamentaux prennent tout leur sens en cas de refus d’obtempérer.
Entre le 1er janvier 2021 et le 8 juin, le GGD 44 en a relevé exactement 159 en 159 jours, soit un par jour mais aussi 45 % des refus de la Région, dans des situations aussi soudaines qu’inattendues, parfois aggravées. Ce qu’il importe de marteler, c’est que, dans le cadre d’une infraction routière, la décision d’interception d’un contrevenant refusant obstinément d’obtempérer appartient au chef de patrouille et n’est concevable immédiatement qu’aux fins de faire cesser une menace forte, réelle et identifiée, c’est-à-dire limitée à la seule commission de faits graves pouvant porter atteinte à autrui. Une rapide phase d’analyse de la situation est primordiale et permet d’évaluer l’enjeu d’un jalonnement, c’est-à-dire d’une poursuite. Nous avons un terme mnémotechnique pour cela : SUN. Sécurité : mon action est-elle susceptible de nuire à ma sécurité et à autrui ? Urgence : existe-t-il une urgence ? Puis-je agir différemment ? Nécessité : puis-je différer l’interception pour un même résultat opérationnel ?
Pour autant, l’absence d’interception immédiate du contrevenant n’implique pas une absence de sanction à son égard…
Au cours de cette session de sensibilisation, on met l’accent sur l’importance de relever un maximum d’informations sur le vif, pour basculer en mode judiciaire. C’est la bonne attitude. D’ailleurs, désormais, dans chaque ordre d’opération, un militaire observateur est désigné. Outre l’environnement immédiat, il est chargé de relever un maximum d’éléments d’identification lors d’un potentiel refus d’obtempérer. Pour autant, si on peut faire une interception immédiate sécurisée, on le fait. Mais, pour reprendre une phrase du directeur général de la gendarmerie : « Jamais une poursuite, ni une verbalisation ne justifieront de briser une vie. » Il importe donc à chacun de nous de se préparer intellectuellement en amont à une tactique et à des actions alternatives face aux refus dangereux d’obtempérer.
Le dispositif concernera-t-il, à terme, à l’ensemble des personnels de la Région ?
Oui, tout à fait. Le commandant de région a invité les commandants de groupement de son ressort à décliner cette initiative dans chaque département, dans la mesure où la protection des personnels de la gendarmerie en service, mais également à l’unité, constitue sa priorité absolue.
Source: gendinfo.fr