Avec plus de 20 millions de passages par an ces dernières années, les services des urgences dans les hôpitaux sont confrontés à de graves problèmes d’engorgement. Les difficultés rencontrées par ces services sont le symptôme d’une crise plus large du système de soins et de l’hôpital.
Un risque de rupture de soins ?
En mars 2020, la pandémie de Covid-19 a provoqué une vague importante de recours aux soins qui a mis le secteur hospitalier sous tension. Les hôpitaux ont dû s’adapter pour gérer l’afflux de patients, notamment dans les services d’urgences : transferts vers d’autres établissements, recherche de lits supplémentaires, mobilisation de la réserve sanitaire…
Après plus de deux ans de crise sanitaire, un rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la situation de l’hôpital en France s’inquiète de l’aggravation du malaise hospitalier. Épuisement physique et psychologique des professionnels de santé, accentuation des départs en cours de carrière, difficultés de recrutement… Malgré une revalorisation des salaires pour les personnels soignants suite aux accords du Ségur de la santé, signés en juillet 2020, la dégradation des conditions de travail a généré « une désaffection préoccupante à l’égard de l’hôpital« .
À l’approche de l’été 2022, de nombreux hôpitaux sont confrontés à un manque de personnel imposant des fermetures de lits. Fin mai 2022, plus de 130 services d’urgence étaient en difficulté et ont été contraints de limiter leur activité, selon un décompte de l’association SAMU-Urgences de France. Des professionnels de santé alertent sur le risque de rupture d’accès aux soins pour les patients et appellent le gouvernement à prendre des mesures.
Dans ce contexte de crise, le président de la République a commandé, le 31 mai 2022, une « mission flash » au président de SAMU-Urgences de France, François Braun,(nouvelle fenêtre) devenu aujourd’hui ministre de la santé, pour identifier de premières solutions opérationnelles avant l’été.
Le rapport de cette mission a été remis le 30 juin 2022 à la Première ministre, Élisabeth Borne. Le Gouvernement a retenu les 41 recommandations de la mission. Les principales mesures sont entrées en vigueur dès le mois de juillet 2022 pour une période déterminée de trois mois. Elles sont détaillées dans un arrêté paru le 12 juillet 2022 au Journal officiel(nouvelle fenêtre).
Parmi les solutions apportées figurent la mise en place d’une majoration de 15 euros pour les médecins acceptant d’accueillir rapidement des patients qui leur sont adressés par le 15 ou encore la possibilité de réguler les entrées aux services d’urgence, principalement via le SAMU. Il est mentionné dans l’arrêté que les établissements sont autorisés « à mettre en place une organisation permettant d’orienter les patients dont l’état de santé ne relève pas de la médecine d’urgence vers une offre de soins adaptée. »
Le bilan de ces mesures doit être effectué fin septembre 2022 pour décider de leur pérennisation. Une grande concertation sera également lancée avec les représentants du secteur de la santé pour améliorer durablement l’accès aux soins dans les territoires.
Une hausse continue du recours aux urgences
Depuis leur création au milieu des années 1960, les services des urgences ont connu une croissance soutenue et régulière de leur activité, avec une hausse de leur fréquentation estimée à 3,5% par an. Selon les dernières données de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) sur les établissements de santé(nouvelle fenêtre), on comptait 697 structures d’urgence qui ont pris en charge 22 millions de passages (10 millions de passages en 1996).
D’après une enquête sur le système de santé(nouvelle fenêtre), réalisée dans le cadre du Grand débat national par la Fédération hospitalière et Ipsos au premier trimestre 2019, plus d’un Français sur quatre déclare s’être rendu aux urgences au cours de la dernière année (29%). Et plus de quatre sur dix avouent avoir eu recours aux services d’urgence pour des raisons inadéquates : difficultés d’obtention d’un rendez-vous auprès d’un médecin, facilité pour faire tous les examens complémentaires sur place, etc. Au total, 42% des Français ont déjà eu recours aux urgences alors que leur situation de santé ne l’exigeait pas vraiment.
Ainsi, les urgences semblent assurer de plus en plus de nouvelles fonctions : développement d’un nouveau mode d’accès aux soins hospitaliers, réponse à des besoins non satisfaits, notamment pour la prise en charge de populations à faible niveau de ressources, substitution partielle à la médecine de ville. Les services des urgences tendent à s’éloigner de la seule prise en charge des urgences vitales et de la traumatologie grave, pour laquelle ils avaient été principalement conçus et pensés.
C’est ce que met en évidence la Cour des comptes dans son rapport sur la sécurité sociale de 2014(nouvelle fenêtre) et son rapport annuel 2019(nouvelle fenêtre) : les urgences ne prennent plus en charge uniquement les « urgences vraies » mais aussi les demandes de soins non programmés (concernant particulièrement les maladies chroniques, les personnes âgées, les personnes en détresse psychique et sociale…) qui pourraient être prises en charge par d’autres structures et/ou d’autres professionnels. La Cour des comptes estime que 20% des personnes ayant recours aux urgences n’auraient pas dû s’y rendre.
Dans son livre blanc, l’association SAMU-urgences de France constate que la prise en charge par les urgences des accidentés de la route est en net déclin tandis que les pathologies cardiovasculaires et neurologiques et les complications aiguës des cancers et maladies chroniques sont en forte augmentation. Cette augmentation doit être mise en relation avec le vieillissement de la population et l’augmentation concomitante des maladies chroniques.
Les populations en grande difficulté ont également recours aux urgences, présentant des pathologies très avancées, ou ayant des difficultés à s‘orienter dans le parcours de soins ou du fait de l’absence de professionnels médicaux à proximité de leur résidence. Pour ces populations, la prise en charge va au-delà de l’urgence de soins. Le renforcement de la demande sociale est nettement perçu par les soignants qui mettent en avant la très grande précarité d’une part des patients accueillis.
Au total, selon un rapport sur la territorialisation des activités d’urgence, les passages dans les services d’urgence se caractérisent ainsi :
- les cas graves représentent environ 10% des admissions dans les structures d’urgence (la moitié sont des urgences vitales) ;
- la traumatologie représente entre 35 et 40% des admissions ;
- les passages sont essentiellement diurnes : 75% des passages ont lieu entre 08 et 20 heures, 10% entre 00 et 08 heures ;
- l’accessibilité des services d’urgence est un critère de choix pour 60% des patients, tandis que 20% des patients y recourent faute d’avoir pu trouver, en amont, une autre réponse à leur problème.
La crise des urgences, révélatrice de la crise du système de soins
Cette croissance continue de la fréquentation des services d’urgence est difficilement soutenable. Les urgences hospitalières sont régulièrement engorgées, les services confrontés à un niveau de charge structurellement tendu, les demandes de soins complexes. Le problème des délais d’attente est particulièrement aigu en Ile-de-France. Ces établissements surchargés peuvent se trouver rapidement débordés en cas de pics épidémiques.
Selon un rapport du Sénat de 2017 sur les urgences, « dans ces services, il ne serait pas rare que l’affluence entraîne un tel débordement des équipes que les prises en charge ne puissent plus être hiérarchisées avec toute l’efficacité nécessaire, ce qui ferait parfois passer à côté de véritables urgences. »
Cette crise est le révélateur d’une crise plus profonde qui touche l’ensemble du système de santé français. Les réponses à la crise des urgences doivent prendre en compte l’organisation et les effectifs des services, mais aussi l’amont des urgences (l’orientation et la prise en charge des patients) et l’aval des urgences (l’hospitalisation des malades dans des lits de suite).
L’augmentation de la fréquentation révèle les failles de la médecine de ville. Tous les services de la médecine d’urgence, y compris ceux comme SOS médecins, glissent vers une activité de médecine de premier recours. Les cabinets de médecine libérale ne sont pas organisés pour répondre à l’urgence et prendre en charge des soins non programmés.
Le rapport du député Thomas Mesnier, ex-urgentiste et médecin du SAMU, recommande d’inciter les médecins généralistes à prendre davantage en charge de consultations non programmées. Cette prise en charge pourrait prendre la forme d’interventions dans les centres du 15 aux côtés des urgentistes ou d’une aide d’un assistant pour la coordination de leurs activités. De même, les centres de santé pourraient offrir une complémentarité intéressante à la médecine de ville et aux services d’urgence.
À l’aval, c’est l’organisation hospitalière qui contribue à la saturation des urgences. Les services d’urgence constituent un point d’entrée majeur vers les services spécialisés, de sorte que le devenir des patients des urgences en aval de la prise en charge est déterminant. L’enjeu de la prise en charge en aval des urgences est double : il s’agit non seulement d’assurer le désengorgement des urgences, mais également de garantir immédiatement le bon aiguillage des patients vers la structure spécialisée adéquate, de manière à éviter le retour aux urgences et les hospitalisations multiples.
Des propositions pour un pacte de refondation des urgences avaient été présentées par le Gouvernement en décembre 2019, à la suite de mouvements de grève organisés dans les services d’urgence depuis la mi-mars 2019. 754 millions d’euros avaient été engagés sur la période 2019-2022 pour financer plusieurs mesures, parmi lesquelles la mise en place d’un service d’accès aux soins (SAS). Ce service, accessible en ligne et par téléphone, doit permettre d’accéder à toute heure à un professionnel de santé et de mieux orienter les patients, afin de ne pas systématiser le recours aux urgences. La généralisation progressive du dispositif à l’échelle nationale est prévue à l’horizon mi-2023.