En décembre 2022, après une préparation physique, matérielle et mentale de plusieurs mois, le gendarme Lucas a réalisé l’ascension de l’Aconcagua. Un challenge sportif, mais aussi un engagement au profit de la lutte contre la sclérose en plaques. Rencontre.
Depuis le mois de février 2022, le gendarme Lucas préparait la réalisation d’un projet qui lui tenait à cœur : l’ascension de l’Aconcagua, appelé aussi le « colosse de l’Amérique ». Haut de près de 7 000 m, ce sommet de la cordillère des Andes est l’une des plus hautes montagnes du globe. S’il s’est lancé ce défi, c’est non seulement par goût personnel, mais aussi pour prendre un engagement associatif au profit de la lutte contre la sclérose en plaques, dont est atteinte sa compagne, Cela lui a en effet permis de rassembler des fonds pour la recherche de traitements et le soutien psychologique aux malades, via une cagnotte, ouverte jusqu’à fin janvier 2023. Le gendarme a accompli ce défi en décembre 2022, après une préparation physique, matérielle et mentale de plusieurs mois, misant sur la rusticité (course à pied, sur route, trail, prise de masse, renforcement musculaire), afin de pouvoir porter lui-même ses 20 kg d’équipement, anticiper la perte de poids et se préparer à se dépasser. Récit d’un challenge sportif et engagé.
Après ces dix mois de préparation, le jour J arrive. Dans quel état d’esprit vous trouviez-vous ? Dans quelles conditions avez-vous commencé l’ascension ?
Les choses se sont faites très vite. Je suis parti de Paris le 1er décembre, arrivé en Argentine le 2, pour un départ le 3 décembre. J’ai fait la rencontre du groupe, on a pris le bus pour arriver à l’entrée du parc national, et c’était parti pour 16 nuits sous tente, jusqu’au 19 décembre, avec un retour en avion prévu le 20 décembre.
Le groupe international était composé de neuf alpinistes : des Américains, un Néerlandais, un Argentin et deux Français. Le guide, chef d’expédition, était chilien, un local qui connaît très bien la cordillère des Andes et qui a de l’expérience sur ce genre de montagne. Parmi les neuf, seulement trois ne sont pas arrivés au sommet, pour diverses raisons, ce qui est pas mal, car en général, il y a seulement 40 % de réussite. Il n’y a pas eu de problème de barrière de la langue et à aucun moment je ne me suis senti en difficulté, tout le monde parlait en anglais ou un peu en espagnol, il y avait une bonne solidarité. Ça change des groupes exclusivement francophones, cela permet des expériences et des discussions un peu différentes. Et au début, les gens discutent beaucoup, car ils ont de l’air, au-delà d’une certaine altitude ce n’est plus le cas !
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant ces premiers jours ?
Ce qui est assez frappant là-bas, c’est que le climat est extrêmement aride, quasiment désertique, notamment lors de la marche d’approche, qu’on a faite au cours des trois premiers jours : on est parti à 2 500 mètres d’altitude, pour arriver au camp de base qui se trouve à 4 200 mètres. Durant ces trois jours, on voit encore quelques cours d’eau et des arbustes, mais c’est déjà très très sec, avec des variations de température comme dans le désert. En journée, la chaleur peut monter jusqu’à 50 °C, et la nuit, on peut avoir du -15 °C. C’est assez particulier. L’air est très sec, tellement que cela brûle les poumons et les narines quand vous respirez.
Une fois au camp de base, c’est un peu différent, car on monte en altitude. Il y a peu de neige et de glaciers ; j’ai commencé à voir de la neige à partir de 4 500-5 000 mètres.
À partir de là, on a fait des journées de portage jusqu’au camp 1. On monte une partie du matériel (tentes, nourriture, etc.), on reste un peu pour s’acclimater, puis on redescend au camp de base. C’est aussi une sorte de journée d’acclimatation. Il y a trois camps : le camp 1, à 5 000 mètres, le camp 2, à 5 500 mètres, et le camp 3, à 6 000 mètres, d’où se fait le départ final. Nous avons fait des journées de portage du camp 1 au 2, et d’une traite du 2 au 3. Initialement, le sommet était prévu le 15 décembre, mais les conditions météo nous ont obligés à décaler l’ascension au 16, puis au 17 décembre.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour vous ? Comment tenir dans ces conditions ?
Les difficultés rencontrées sont majoritairement liées à l’altitude : à partir de 5 000 mètres, ça devient compliqué, mais on s’acclimate. En revanche, les 6 000 mètres sont un gros palier. Cela devient vraiment écrasant, même pour les locaux, qui ont pourtant une expérience immense de la haute montagne.
Pour ce genre d’effort, il est important d’avoir une base physique pour ne pas trop subir d’emblée. Mais c’est surtout dans la tête que c’est le plus important. Je m’en suis particulièrement rendu compte à 6 000 mètres. Là, le physique ne sert plus à grand chose (maux de tête, vomissements, difficultés à respirer…), on réfléchit à pourquoi on est là, ce qu’on est venu faire et c’est tout ! L’objectif me galvanisait.
Concrètement, l’entraînement physique sert juste à retarder l’instant où on va taper dans le mental et rechercher les ressources au fond de soi. Les gens qui sont moins entraînés vont tout de suite être dans le dur. On peut croire que la préparation fait tout, mais ce n’est pas le cas. À un moment donné, il faut vraiment se faire mal. Il faut presque accepter de vivre dans la douleur. Et au-dessus de 6 000 mètres, ça devient un monde particulier. Nous sommes arrivés à cette altitude au bout de quatorze jours, la veille du départ vers le sommet, et on y a passé une deuxième nuit le lendemain de l’ascension.
La journée de cette ascension a été la plus difficile : départ du camp 3 à 5 heures, pour une arrivée au sommet à 15 heures. C’est un mélange à la fois d’une courte nuit, de l’adrénaline de partir, des difficultés à respirer et d’autres choses encore. Il y a comme une impression de marcher en apesanteur, les pas deviennent lents, chaloupés ; on cherche ses mots, même les pensées sont difficiles à structurer, on ressent le manque d’oxygène jusque dans l’esprit. Il faut essayer de rester zen, de prendre les bonnes décisions pour marcher.
La partie la plus dure se trouve à la toute fin, c’est la « canaleta », à 6 700 mètres, juste avant le sommet. On arrive sur une pente à 45-50 degrés, composée de roches et de glace. Les rochers ne sont pas stables, on avance d’un pas et on recule de deux. C’est très compliqué physiquement et nerveusement. La phase finale de l’ascension se joue vraiment dans la tête.
Une fois au sommet, je n’ai pas réalisé tout de suite. Nous avons eu une chance incroyable : l’absence de vent nous a permis de profiter du sommet pendant 45 minutes à 7 000 mètres. La vue était exceptionnelle, dégagée sur le Pacifique, qui est à plus de 100 kilomètres, et sur les sommets hauts de 5 000 mètres tout autour… On se sent vraiment tout petit. On pourrait penser qu’une fois arrivé en haut on se sent invincible, mais en fait non, cela m’a fait l’inverse, c’est vraiment impressionnant !
Je pense que dans tous les domaines, c’est important d’y aller progressivement, et plus encore en montagne. J’avais envie de tester quelque chose de difficile : ici, le plus haut sommet de la cordillère des Andes, mais aussi le plus haut du monde après l’Himalaya. C’est un point de passage obligé si je veux continuer à progresser dans ces montagnes, je dois connaître les réactions de mon corps face à la haute altitude. Le but pour moi est d’accumuler le plus d’expérience possible sur des sommets de plus en plus durs. J’ai pris du plaisir et je n’ai pas été déçu. J’ai tenu un journal de bord tous les jours de l’expédition, à propos de tout : mes sentiments, mon état physique, mon ressenti, ce que je voyais, etc. Tous les jours, je poste le récit d’une journée sur la page Facebook, avec une photo prise quotidiennement pour montrer mon évolution au cours de l’ascension, sachant que j’ai perdu 10 kg.
Les gens font ce genre d’activité pour tout un tas de raisons, se prouver quelque chose, une promesse faite à quelqu’un, un engagement. J’aurais été sur ce sommet même sans l’engagement associatif pris, mais je trouve que cela lui donne plus de sens. Globalement, je m’étais préparé à une ascension difficile, je savais que ce n’était pas un sommet technique, mais très difficile au regard du climat, surtout la partie finale. Mais à aucun moment je n’ai douté, je savais pourquoi j’étais là et j’étais content d’y être. Seules des conditions météo épouvantables auraient pu m’empêcher d’y arriver. Mais il n’y avait pas de doute dans mon esprit.
Entre les retrouvailles, les fêtes, la reprise du travail, je n’ai presque pas encore réalisé ce que j’ai fait, tout est allé très vite. Je suis content d’avoir réussi, content si cela peut donner de l’espoir et apporter du soutien. J’ai reçu des messages de remerciement et de soutien dans ce cadre, ce qui n’a pas de prix.
Au niveau familial, ma compagne est fière, elle savait que j’allais faire quelque chose de difficile et de dangereux (la montagne l’est toujours). Le retard pris à cause du report de la journée d’ascension du sommet a été un peu dur pour elle, car elle est restée sans nouvelles pendant plusieurs jours. Elle est contente pour moi, fière aussi de l’engagement associatif que je porte, et de ce désir de fédérer autour de la recherche sur la sclérose en plaques.
Je suis heureux d’avoir pu toucher la très haute altitude, c’est une expérience extraordinaire et dépaysante. J’essaierai de renouveler cela avec d’autres sommets, comme l’Himalaya, toujours avec un engagement associatif. Cela a du sens seulement si le défi est difficile.
Une fois arrivé à cette avant-dernière étape, reste l’ascension jusqu’au sommet, le but ultime. Qu’avez-vous à l’esprit une fois là-haut ?
Vous avez vécu une aventure exceptionnelle à travers cette expérience. Qu’est-ce que vous en retirez ?