Le Sénat a publié, le 8 mars 2023, un rapport recommandant de « surseoir » la généralisation du service national universel (SNU) à tous les jeunes. Dans ce contexte, Vie publique revient sur les différentes formes du service national à travers le temps, de la conscription de 1798 au SNU, dont l’expérimentation a commencé en 2019.
Un « service national de durée courte, obligatoire et universel« , « véritable projet républicain, qui doit permettre à notre démocratie d’être plus unie et d’accroître la résilience de notre société« , c’est ainsi qu’Emmanuel Macron présentait, pendant la campagne présidentielle de 2017, le projet de service national universel. Concrétisé en 2020 après une phase d’expérimentation en 2019, mais seulement sur la base du volontariat, le SNU ne constitue cependant pas une réinvention du service militaire, suspendu par une loi de 1997.
Courte histoire du service national
Le service militaire obligatoire, autrefois connu sous le nom de conscription, se définit comme la réquisition par l’État d’une partie de ses citoyens à des fins militaires. Cette période passée « sous les drapeaux » est consacrée à l’apprentissage des connaissances et pratiques militaires et vise à compléter les forces armées d’un pays. Dans son cadre, tous les appelés peuvent être mobilisés en temps de guerre.
Née dans le sillage de la Révolution de 1789 et de l’idéal révolutionnaire d’un peuple formé de « citoyens soldats », la conscription « universelle et obligatoire » est instituée par la loi Jourdan-Delbrel du 5 septembre 1798 (19 fructidor an VI) et concerne tous les Français âgés de 20 à 25 ans. Elle est supprimée à la Restauration, puis rétablie en 1818 sous la forme d’un service long de six ans pour pallier l’insuffisance d’engagés volontaires. Deux principes, définis en 1804, sont maintenus par la loi Gouvion-Saint-Cyr de 1818 et durent près d’un siècle durant :
- le tirage au sort : sur 100 conscrits, seuls 35 d’entre eux sont appelés à servir sous les couleurs. Les conscrits sont désignés parmi les célibataires ou les veufs sans enfants, âgés de 20 à 25 ans et mesurant au moins 1,54 mètre. Dans chaque canton, 30 à 35% des hommes éligibles peuvent ainsi faire leur service pendant six ans ;
- le remplacement, qui permet aux familles bourgeoises ou nobles de payer un remplaçant pour échapper à la conscription. À partir de 1855, une exonération, sous la forme d’une compensation financière versée à l’État, se substitue au remplacement.
C’est sous la Troisième République (1870-1940) que la conscription prend sa forme moderne. Il n’est plus possible pour un appelé de se faire remplacer.
La notion d’universalité apparaît en 1889. Le service militaire concerne toutes les strates de la population. En 1905, avec la loi Bertaux, la sélection par tirage au sort est abandonnée et la durée du service est réduite à deux ans.
La guerre d’Algérie (1954-1962) est le dernier conflit armé à réquisitionner des appelés. Ils sont un million et demi mobilisés pour combattre sur le sol algérien (alors territoire français) pour une durée de 30 mois.
De 1965 à sa suspension en 1997, la conscription connait d’importantes évolutions. Le service militaire devient le « service national » en 1965 avec la loi Messmer. Il peut revêtir plusieurs formes : service de défense, service d’aide technique et service de coopération. Le statut d’objecteur de conscience apparaît dans la loi du 21 décembre 1963 mais il ne sera réellement reconnu qu’à partir de 1983.
La loi de juillet 1970 fixe la durée du service à 12 mois et le sursis est supprimé. Cependant, un report devient possible jusqu’à l’âge de 22 ans. En 1992, la loi Joxe raccourcit la durée du service national à dix mois et créée le service de sécurité civile et le service en entreprise à l’étranger, prémices du service civique.
Après la disparition de l’Union soviétique en 1991, le Livre blanc sur la défense de 1994 consacre la fin de la guerre froide et annonce la professionnalisation des armées. Le 22 février 1996, le président de la République, Jacques Chirac, annonce la suspension du service national. La loi est votée par le Parlement le 28 octobre 1997 et applicable à tous les Français nés après le 31 décembre 1978. Il s’agit bien d’une suspension, la loi précise que le service militaire « est rétabli à tout moment par la loi dès lors que les conditions de la défense de la Nation l’exigent ou que les objectifs assignés aux armées le nécessitent« .
Quelle conscription en Europe ?
Comme la France, de nombreux États européens ont suspendu la conscription : le Royaume-Uni dès 1960, la Belgique en 1992, l’Espagne en 2001, l’Italie en 2006 ou la Pologne en 2008.
Désormais, seuls sept des 27 États-membres de l’Union européenne (UE) maintiennent un service national obligatoire : Grèce, Finlande, Suède, Danemark, Estonie, Lituanie, Autriche. En Lituanie il est réactivé de façon temporaire en 2015 face à la menace russe. En Suède, il est rétabli en 2017 en raison des difficultés de recrutement de soldats (7 000 soldats manquants par rapport à l’objectif gouvernemental).
Hors UE, la Suisse a confirmé la conscription par référendum à une très large majorité. Pour sa part, la Norvège est le premier pays européen à rendre obligatoire le service militaire pour les femmes, tandis qu’il repose sur leur volontariat dans les autres pays.
Après le service national obligatoire
À partir de 2002, une journée défense et citoyenne (JDC) est instaurée. Elle s’adresse aux garçons et filles, âgés entre 16 et 25 ans qui, après leur recensement citoyen, reçoivent une information sur le fonctionnement de l’armée et participent à un examen de lecture.
Si le service national dans sa forme ancienne est aboli, d’autres dispositifs d’engagement civique existent, sous l’égide du ministère des armées, avec des finalités souvent plus sociales que militaires :
- le service militaire adapté (SMA), dispositif militaire d’insertion au profit des jeunes de 18 à 25 ans éloignés de l’emploi et résidant outre-mer (6 000 volontaires) ;
- le service militaire volontaire (SMV), dispositif d’insertion professionnelle encadré par des formateurs issus de l’armée sur une durée de 11 mois avec un volet militaire de 6 semaines ;
- l’Établissement public pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE), rattaché au ministère des armées, qui a pour mission d’accompagner les jeunes de 18 à 25 ans vers l’emploi ou vers une formation qualifiante ;
- les cadets de la Défense créés par le ministère des armées qui proposent des activités éducatives, culturelles et sportives en faveur de jeunes de 14 à 16 ans ;
- les cadets de la République qui forment des adjoints de sécurité et qui préparent au concours de gardien de la paix ;
- la garde nationale, créée en octobre 2016, qui regroupe les volontaires de l’armée, de la police et de la gendarmerie avec l’objectif d’appuyer les forces de l’ordre dans la lutte contre le terrorisme (elle compte près de 72 000 réservistes) ;
- le service civique, inscrit dans le code du service national et institué par la loi du 10 mars 2010. En 2018, il a concerné 140 200 jeunes qui ont effectué une mission d’intérêt général.
Le SNU, un retour au devoir civique obligatoire
Promesse du candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017, le projet de rétablissement d’un service national obligatoire est soumis à étude et fait l’objet d’un rapport remis le 26 avril 2018. Soulignant « des difficultés non négligeables » et un coût de « quelques milliards d’euros », le rapport plaide pour un déploiement sur sept ans. En février 2018, un rapport émanant de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale se montre davantage favorable à la montée en puissance des dispositifs d’engagement volontaires existants.
En juin 2018, le gouvernement décide que le service national universel (SNU) prendra une forme mixte, entre service civique et militaire. Il concerne tous les jeunes, filles et garçons, âgés de 15 à 17 ans. Quatre objectifs sont énoncés :
- transmettre un socle républicain ;
- renforcer la cohésion nationale ;
- développer une culture de l’engagement ;
- accompagner l’insertion sociale et professionnelle.
Le SNU est constitué de deux phases, l’une obligatoire, l’autre facultative.
La période obligatoire se répartit en deux temps : deux semaines en séjour de cohésion en dehors du département d’origine, puis la réalisation d’une mission d’intérêt général pendant deux autres semaines au sein d’une association, d’une administration ou d’un corps en uniforme.
Le séjour de cohésion s’effectue en internat dans des centres SNU (internats de lycée, centres de vacances ou de formation, etc.). Il reprend dans ses modalités certains aspects de l’ancien service militaire : port de l’uniforme, lever à 7 heures, cérémonie de lever des couleurs avec salut au drapeau et chant de la Marseillaise. La journée est principalement consacrée à des modules sur les thèmes d’engagement choisis par les candidats : activités physiques, sportives et de cohésion ; citoyenneté et institutions nationales et européennes ; découverte de l’engagement ; développement durable et transition écologique et solidaire ; autonomie, connaissance des services publics et accès aux droits ; culture et patrimoine ; défense, sécurité et résilience nationales.
Au terme de ces quatre semaines, une cérémonie en préfecture vient sanctionner la fin de la période d’obligation civique pour chaque jeune au cours de laquelle un certificat lui est remis.
Impact de la crise sanitaire
En 2020, la crise sanitaire liée à l’épidémie du Covid-19 a bouleversé le déroulement du SNU. Dans ce contexte épidémique incertain, le séjour de cohésion a été annulé (30 000 jeunes volontaires étaient concernés).
La deuxième phase facultative prend la forme d’un engagement pour un durée pouvant varier de trois mois à un an. Elle concerne les jeunes de 16 à 25 ans dans le prolongement de la partie obligatoire. Elle doit s’effectuer dans un cadre en lien avec la défense et la sécurité (armées, police, gendarmerie, pompiers, sécurité civile), l’accompagnement des personnes, la préservation du patrimoine ou l’environnement. Elle peut également être accomplie dans le cadre de l’actuel service civique. Durant cette période, les participants peuvent bénéficier d’un accès facilité au permis de conduire, de crédits universitaires, voire d’une indemnisation.
Un premier bilan de la phase d’expérimentation du SNU
Une première phase d’expérimentation de la période de cohésion avait été lancée en juin 2019 dans 13 départements pilotes dont la Guyane. Elle s’étendait sur deux semaines pour 1 978 volontaires âgés de 15 à 16 ans, de milieux sociaux différents, lycéens, décrocheurs scolaires, apprentis et élèves en CAP.
Dans un rapport sur les premiers enseignements des séjours de cohésion de juin 2019, l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) estimait que les retours, majoritairement positifs, étaient à relativiser compte tenu du profil volontaire des candidats. À cette échelle expérimentale, le fort engagement des acteurs a pu compenser les problématiques d’ordre pratiques ou organisationnelles. Plus récemment, en février 2023, un autre rapport de l’Injep sur le service national universel revient sur une enquête effectuée auprès des participants au SNU en 2021. Selon cette étude, les retours d’expérience des volontaires semblent plutôt positifs sur les séjours de cohésion. Néanmoins, l’Injep relève de nombreuses difficultés de mise en place des missions d’intérêt général (manque d’information et d’accompagnement, maillage territorial insuffisant…).
Une généralisation du SNU en 2024 ?
La généralisation du SNU à tous les jeunes de 15 à 17 ans sur le territoire représenterait un effectif de 800 000 jeunes. Prévue initialement pour 2024, cette généralisation a fait l’objet, en mars 2023, d’un rapport du Sénat sur l’évolution du SNU. Le projet est désormais décliné en deux scénarios : une généralisation du SNU « hors du temps scolaire » et une autre « sur le temps scolaire« .
Hormis la sous-estimation du coût final du SNU (le coût par jeune en 2023 serait de 2 187,50 euros, soit un coût total estimé à, au moins, 1,75 milliard d’euros), les rapporteurs évoquent, pour l’heure, un manque de stratégie de recrutement du personnel et la nécessaire mise en place d’une filière de recrutement pour l’encadrement du séjour de cohésion.
En l’état, les sénateurs recommandent donc de « surseoir au projet de généralisation du séjour de cohésion » et de remplacer la phase de mission d’intérêt général par un engagement volontaire civique sur plusieurs mois, éventuellement en l’intégrant à Parcoursup. Les sénateurs préconisent par ailleurs de soumettre la généralisation du SNU à l’avis de l’ensemble des parlementaires, le Parlement n’ayant pas été saisi de cette question jusqu’à présent.
Source: vie-publique.fr