Le stage d’équitation Cent’Or, l’un des quatre stages de reconstruction par le sport proposés par la gendarmerie nationale aux militaires blessés en service, s’est déroulé du 3 au 7 avril, au Centre d’instruction du régiment de cavalerie de la Garde républicaine, à Saint-Germain-en-Laye.

À l’orée de la forêt domaniale de Saint-Germain-en-Laye, à quelques foulées du centre d’entraînement de l’équipe de football de la capitale, se situe un autre lieu d’exigence et d’efforts. Au centre d’instruction du régiment de cavalerie de la Garde républicaine, le quotidien est rythmé par le claquement des sabots, au pas, au trot, au galop. Ici, sont formés tous les cavaliers de la Garde, ainsi que les jeunes chevaux sur lesquels ils monteront, mais aussi les futurs moniteurs, sans oublier les gendarmes départementaux qui armeront les postes à cheval.

Ce mercredi 5 avril, tandis qu’un beau soleil de printemps réchauffe peu à peu l’atmosphère, six gendarmes marchent derrière leurs montures, tentant de manœuvrer aux longues rênes, donnant de la voix pour que l’animal suive le mouvement. Eux ne sont pas des cavaliers de la Garde, voire pour certains n’étaient jamais montés sur un cheval, si ce n’est sur un poney pendant leur enfance. Claire, Pauline, Camille, Lætitia, Christophe et Nicolas sont des blessés de la gendarmerie. Et cette semaine, ils participent à un stage d’équitation adaptée, baptisé Cent’Or.

« C’est l’un des quatre stages proposés à nos blessés en service, avec le stage mer Aquaphénix, à Argelès, le stage montagne Esprit de cordée, à Chamonix, et le stage famille Ad Refectio, au Grand Crohot Océan, détaille le lieutenant Franck Martineau, chargé de projet Reconstruction des blessés par le sport (RBS) à la Direction des personnels militaires de la gendarmerie nationale (DPMGN). Les blessés sont identifiés en amont, et je discute ensuite avec chacun d’eux afin de connaître leurs pathologies, leurs souffrances, et ainsi les orienter au mieux vers les différents stages du parcours RBS. Les six participants à ce stage Cent’Or traversent une période de grande souffrance psychique. Le but de ce stage est de permettre aux participants de vivre une expérience corporelle et émotionnelle avec le cheval, en favorisant la resocialisation et le mieux-être, sans objectif de performance. »

Des trinômes en action

Les six gendarmes sont arrivés, lundi 3 avril, au Centre d’instruction, et ont fait connaissance, d’abord entre eux, puis avec les six chevaux qui les accompagnent toute la semaine, ainsi qu’avec les six gardes qui les encadrent, pour former in fine des trinômes. Deux jours plus tard, la cohésion est déjà flagrante. Il va falloir d’ailleurs, parce qu’en fin de matinée, tandis que les chevaux sont au box pour un repos bien mérité, les six binômes se retrouvent en forêt pour un exercice de cohésion, précisément, concocté par Charlène, monitrice ORFA (Optimisation des ressources des forces armées). Ils vont notamment devoir faire deviner par le toucher des objets liés à l’équitation, dissimulés dans un carton. « Nous travaillons sur les autres sens que la vue, qui a tendance à trop prendre le dessus et à restreindre les autres », explique Charlène.

Puis ils vont devoir former un cercle, en tenant entre chaque maillon de la chaîne, du bout du doigt, un stylo, et progresser en franchissant des obstacles. « Pour cet exercice, je choisis délibérément les plus dissipés pour prendre le leadership, pour les obliger à se recentrer sur eux-mêmes, et à se reconnecter aux autres », poursuit Charlène. Pauline va devoir ainsi lutter contre un terrible fou rire pour mener la troupe à bon port. La séance se termine par une phase de relaxation, en obstruant à nouveau la vue pour accentuer le travail des autres sens, suivie d’une phase de redynamisation, car la journée n’est pas finie !

L’après-midi débute par un parcours avec les chevaux, toujours à la longue rêne. Slalom, demi-tour, passage d’embûches… « Le parcours pourrait symboliser une journée de la vie de tous les jours, avec ses obstacles, ses difficultés, qu’il faut surmonter, avec l’aide de son meilleur ami, le cheval, décrit la garde Hélène, co-organisatrice du stage. Il y a deux stages Cent’Or par an, un en avril, un en septembre. C’est difficile d’en faire davantage, car les chevaux sont très sollicités par ailleurs. L’objectif est de retrouver l’estime de soi, la confiance en soi. Les ateliers sont très axés sur la communication avec le cheval, un animal très sensible, avec qui il faut savoir créer des affinités, et qui est le miroir de nos propres émotions. Pour obtenir quelque chose de lui, il faut donc se confronter à ses propres émotions. »

En milieu d’après-midi, tandis que le soleil, décidément généreux, baigne le centre de ses rayons, les participants reçoivent la visite du général de corps d’armée Bruno Arviset, Directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale (DPMGN), accompagné du Sous-directeur de l’accompagnement du personnel (SDAP), le colonel Gwendal Durand, ce dernier se déplaçant d’ailleurs lors de chaque stage pour rencontrer les blessés. « Je tenais à venir pour échanger avec vous, sans formalisme, à la fois à propos de votre ressenti sur ce stage, mais plus généralement sur l’accompagnement des blessés », a indiqué le général Arviset, avant d’écouter les remarques et les questions des participants.

Témoignages

Claire, participante du stage Cent’Or

Claire a été blessée le 14 mars 2022, après une instruction au tir au sein de sa brigade, dans le Var. Les armes étaient en principe déchargées, mais il y a eu une négligence, et un accident. « J’ai entendu la détonation, vu le visage horrifié du tireur, puis un trou dans le mur. Je me suis dit qu’il n’y avait heureusement pas de blessé. Mais, passée le bourdonnement, j’ai senti un fourmillement. J’ai relevé ma polaire et mon avant-bras était en sang. La balle l’avait traversé. »

La blessure est grave, handicapante, et va engendrer chez Claire un État de stress post-traumatique (ESPT). « Du jour au lendemain, tout s’effondre. Mon mari, affecté au 1er Régiment d’infanterie de Marine (RIMA), était en mission au Mali à ce moment-là, et je me suis retrouvée seule avec ma fille de 14 mois, avec des crises d’angoisse et des insomnies terribles. J’étais dans un déni complet. Ça n’était pas arrivé, ça n’existait pas. Il faut d’abord que j’accepte la réalité de ce qui s’est passé, de la blessure, de mon handicap. »

Claire aimait l’équitation, elle a d’ailleurs un niveau Galop 4. C’est le cheval qui l’a incitée à participer à ce stage Cent’Or. « J’aimais lire, mais je ne lis plus ; j’aimais courir, mais je ne cours plus. Alors, je me suis dit que ça me ferait du bien de me reconnecter à une ancienne passion. J’avais aussi besoin d’être avec des gens comme moi, qui comprennent ma situation, ce que je ressens. »

Camille et Nicolas, participants du stage Cent’Or

Camille et Nicolas se connaissaient déjà avant ce stage Cent’Or. Et pour cause, ils ont été blessés au même moment, le 13 mars 2022. Ils s’étaient rencontrés peu de temps avant. Elle, gendarme mobile affectée à l’escadron de Drancy, était partie en mission de maintien de l’ordre en Corse, sur les violentes émeutes qui avaient suivi la mort d’Yvan Colonna. Lui, mobile également, à Maisons-Alfort, s’était porté volontaire pour renforcer le dispositif. Il préparait alors le Diplôme d’armes (D.A.), qu’il révisait dans sa chambre corse et dans l’Irisbus. Elle était bouclier, il était bâton. Tous deux ont été grièvement blessés ce jour-là.

« J’ai essayé de me montrer forte, de continuer mes missions sans me plaindre, raconte Camille, mais j’avais des douleurs de plus en plus vives, et mon corps a fini par parler à ma place. J’ai perdu connaissance lors d’un engagement en outre-mer. J’avais beaucoup de mal à accepter le fait que je n’allais pas bien, et encore plus de mal à le dire. On m’a positionnée sur un poste de secrétariat, mais je n’arrivais pas à me concentrer. En fait, ma vie s’est un peu arrêtée, il y a un peu plus d’un an. J’aimais mon boulot, j’aurais voulu continuer, mais je ne peux pas, tout simplement. J’ai besoin de changer de vie. »

Originaire de Nouvelle-Calédonie, Nicolas a passé le concours de sous-officier après une première expérience convaincante de réserviste. Sa première affectation, après l’école de gendarmerie de Chateaulin, était son premier choix : l’EGM de Maisons-Alfort. « J’ai tout de suite adoré la vie de mobile. Quand je suis arrivé en Corse, j’ai noué rapidement une complicité avec Camille. La blessure a renforcé ces liens. »

Quand le drame survient, Nicolas se retrouve malheureusement dans une impasse professionnelle. « Je suis mobile dans l’âme, je voudrais récupérer ma jambe, passer le D.A.… Mais s’il s’avère que ce n’est pas possible, je vais devoir prendre une autre voie. Alors, je me suis inscrit à l’ examen d’officier de police judiciaire pour anticiper. »

C’est Nicolas qui a parlé à Camille du stage Cent’Or. « Il m’a motivée, reconnaît-elle. Je lui ai dit : « OK, si tu y vas, j’y vais ! » Au début, je voulais rester dans ma bulle, juste avec le cheval, dans la nature. C’était ça, le plan. Mais ça m’a fait du bien de rencontrer des personnes comme moi, qui ne vont pas bien. C’est une super semaine, très forte émotionnellement. »

« Entre nous, on se comprend, on ne se juge pas, ajoute Nicolas. Il y a eu tout de suite une belle cohésion, avec les encadrants, les chevaux. C’est le début de quelque chose. »

Christophe, participant du stage Cent’Or

Après 6 ans en Escadron de gendarmerie mobile (EGM), à Melun, Christophe avait opté pour la subdivision d’armes de la Gendarmerie départementale (GD), affecté dans diverses unités autour de Blois. Le soir de Noël 2015, alors qu’il passe le réveillon chez lui avec toute sa famille, deux délinquants multi récidivistes, ayant eu connaissance de son adresse personnelle, mettent le feu à son véhicule, avec les cadeaux dans le coffre, et tentent de brûler la maison.

« Nous avons échappé de justesse au drame, mais le traumatisme a été profond », souffle Christophe. D’autant que trois ans plus tard, après qu’il a été muté à La Rochelle, l’un des deux auteurs, à peine sorti de prison pour ces faits, trouve sa nouvelle adresse et vient à nouveau le menacer. « Là, j’ai rechuté. C’était une accumulation, c’était trop. Et j’ai finalement été mis à la suite, en raison de mon État de stress post-traumatique (ESPT). C’est le lieutenant Franck Martineau qui m’ a parlé de ce stage d’équitation. J’apprécie l’empathie, la bienveillance, l’absence de jugement. On peut être comme on est, échanger sans crainte, et ça fait du bien de sentir qu’on n’est pas seul. »

Lætitia, participante du stage Cent’Or

Après un parcours en Gendarmerie départementale, en brigade et en peloton d’autoroute notamment, Lætitia est aujourd’hui blessée psychologique, victime d’un État de stress post-traumatique (ESPT), diagnostiqué en 2020. « Mais qui date en réalité de 2010, précise-t-elle. Il y a eu un élément déclencheur qui n’a pas été traité. Je n’ai pas tout de suite compris ce qui m’arrivait, parce qu’il y avait peu de communication à ce sujet, à l’époque. Donc, j’ai pris sur moi, en me disant que les autres devaient ressentir la même chose, que ça allait passer. Et j’ai continué à intervenir sur des morts violentes, auxquelles nous sommes confrontés régulièrement… Et tout s’est accumulé, jusqu’en 2020, où j’ai senti que ça n’allait vraiment plus, que je n’étais plus capable de me concentrer, de réfléchir. Je stressais à chaque fois que j’avais le téléphone de permanence, je perdais mes moyens, je n’étais plus capable de transmettre des consignes, de mener une enquête. Je savais pertinemment que, une fois sur les lieux de l’accident, mon cerveau se déconnecterait. C’était une situation très compliquée. »

Ayant appris l’existence des stages de reconstruction par le sport, Lætitia contacte le lieutenant Franck Martineau pour avoir plus d’informations. « Nous avons parlé de mes problèmes, de ce que je vivais, de mon suivi. C’est lui qui m’a orientée vers ce stage RBS d’équitation. Ça m’intéressait, parce que j’avais envie de rencontrer des personnes qui vivent la même chose que moi, même si chaque situation est différente. Il y a aussi les accompagnants, qui sont très bienveillants, à notre écoute. C’est ce qui nous manque trop souvent, la compréhension, la bienveillance. Et avec le cheval, c’est top ! À travers les différentes activités, il y a un lien de confiance qui se crée avec l’animal. Et ce lien peut nous aider à faire à nouveau confiance à l’humain. »

Pauline, participante du stage Cent’Or

Entrée en gendarmerie en 2016 en Gendarmerie, Pauline a été affectée à la brigade de Vienne, dans l’Isère, en mars 2020, après avoir réussi le concours de sous-officier. Elle était de repos, le 5 juin 2022. Sur l’autoroute, elle est témoin d’un accident sur l’A47, en direction de Gisors. « Il y a avait un véhicule entre la première et la deuxième voie de circulation. Avec mon conjoint, nous avons mis nos gilets de sécurité, lui s’occupant de faire ralentir les véhicules, et moi contournant le véhicule arrêté, pour vérifier qu’il n’y avait pas d’autres blessés. Il était minuit passé, il faisait nuit noire, seuls les clignotants warning de la voiture nous éclairaient. J’étais en communication téléphonique avec le CORG (Centre d’opérations et de renseignement de la gendarmerie), quand j’ai entendu mon conjoint crier. Un véhicule, qui tentait d’éviter la voiture accidentée, a tourné brusquement vers la bande d’arrêt d’urgence et nous a fauchés, moi et un autre automobiliste venu en aide. J’ai été tapée au niveau de la jambe droite et j’ai volé au dessus de la glissière de sécurité. J’ai tout de suite pensé que j’avais perdu ma jambe. Je me suis occupée de l’autre automobiliste jusqu’à l’arrivée des pompiers, et l’évacuation vers l’hôpital… 

Le lieutenant Franck Martineau m’a contactée pendant ma rééducation, en novembre dernier, car il avait vu que j’avais eu ce grave accident. Il m’a conseillée le stage Cent’Or. J’ai rencontré des personnes exceptionnelles, cette semaine, qui comprennent par quoi on est passé, et par quoi on passe toujours. Il y avait énormément de cohésion entre nous, de bienveillance de la part des aidants. Je n’en tire que du positif. »

Source: gendinfo.fr