L’expérience de la Première Guerre mondiale reste un souvenir douloureux dans l’histoire de la gendarmerie. Les gendarmes pâtirent longtemps auprès des poilus d’une réputation d’agents répressifs zélés peu exposés au feu. Resté longtemps méconnu, leur rôle durant le conflit n’en fut pas moins important de la mobilisation à la sortie de guerre.

Le 3 août 1914, lorsque l’Allemagne déclara la guerre à la France les gendarmes départementaux furent d’emblée mis à contribution pour organiser les premières opérations de mobilisation des armées de Terre et de Mer. Ils assurèrent aussi les réquisitions des bêtes, des matériels, véhicules, et fournitures nécessaires aux besoins militaires.

Pour les gendarmes, le point le plus délicat de l’entrée en guerre resta leur propre mobilisation. Le plan XVII, mis en place au printemps 1914, prévoyait d’envoyer aux armées près de 4 000 gendarmes prévôtaux pour y assurer le maintien de l’ordre et la police militaire. Chaque brigade dut ainsi expédier un à trois hommes, remplacés par la suite par des militaires rappelés, souvent âgés et trop peu nombreux1.

Si le décret du 20 mai 1903 prévoyait que les gendarmes puissent former en cas de guerre, des unités combattantes, comme ils l’avaient fait au XIXe siècle, il n’est finalement pas fait recours à cette disposition en 1914. Accusant dès le temps de paix un réel sous-effectif, l’Arme, aux yeux des pouvoirs publics, ne pouvait courir le risque d’être davantage dégarnie.

Pour pouvoir combattre, de nombreux gendarmes réclamèrent alors leur reversement dans les troupes de ligne. Entre le 26 septembre 1914 et la fin 1918, quarante-six officiers et 804 hommes obtinrent d’être détachés dans des formations combattantes. Selon les chiffres officiels, 258 mourront sous d’autres uniformes que ceux de la gendarmerie2 .

Prévôté de la 56ème division d’infanterie (1914) – © Collection Musée de la gendarmerie nationale

L’état de siège conduit les brigades à approfondir certaines de leurs attributions du temps de paix. Elles développèrent la pratique du renseignement sur l’opinion publique et le moral des populations, mais aussi des enquêtes à caractère économique, afin de prévenir les pénuries et de lutter contre le marché noir. Elles firent aussi face à une recrudescence du braconnage, la chasse étant interdite jusqu’à la fin 1916.

D’autres missions spécifiques à la guerre furent organisées ex nihilo, comme la surveillance extérieure des camps de prisonniers, la protection des frontières et surtout la traque des déserteurs, estimés à plus de 80 000 au fil du conflit et parfois organisés en maquis.

Alors que plusieurs gendarmes furent agressés par des soldats tentant de passer les Pyrénées ou les Alpes, d’autres essuyèrent le feu de déserteurs regroupés et armés, surtout en Corse, en région parisienne et dans le Massif central où la gendarmerie se heurta également à la complicité des populations.

En 1920, la gendarmerie publia le chiffre de 66 678 arrestations de déserteurs à l’intérieur entre 1914 et 1918. Certes, elle ne put totalement arrêter le flot. Tout juste l’endigua-t-elle. Mais, quelle que fut la faiblesse de ses moyens, la peur du gendarme fonctionna.

Pour autant, dans une société rurale en quête de sécurité et de protection, la gendarmerie en tant qu’ « armée de l’intérieur » bénéficia d’une image globalement positive auprès des civils. Une perception bien éloignée de ce que vécurent les soldats partis au front. Et pour cause, la mission principale des gendarmes prévôtaux de la Grande Guerre fut, comme le rappelle l’ordre célèbre du général Eydoux, de « maintenir les hommes sur la ligne de feu et forcer, au besoin leur obéissance ».

Jusqu’à la fin du conflit, plus de 17 000 gendarmes firent partie, par relèves successives, des formations prévôtales, avec un nombre maximal de 6 000 prévôts présents au front. Ce service prévôtal revêtit des aspects traditionnels tels que la police des cantonnements, la répression du pillage, de l’espionnage, la protection et l’évacuation des blessés.

Gendarmes de la section de Longwy capturés durant leur transfert en Allemagne (1914) – © Collection privée

Mais ces prévôts furent aussi chargés d’appliquer des règlements impopulaires aux soldats : surveillance des débits de boisson, garde des prisons prévôtales, instructions près des tribunaux militaires. Investis de missions ingrates, les gendarmes prévôtaux devinrent alors rapidement des boucs émissaires, les fameux « cognards » ou « cognes », littéralement ceux qui frappent et mettent dans le « coin », bref, qui interpellent et jettent en prison. Pour la majorité des poilus, les gendarmes furent des embusqués qui ne partagèrent pas leur sort et qui profitèrent de la situation. Ainsi naquit la légende noire de la prévôté.

L’image de la gendarmerie s’en trouva durablement flétrie bien au-delà de l’Armistice, au point que sa « militarité » fut progressivement remise en cause. La bataille que livra l’Arme, aux armées et à l’intérieur, se doubla dès lors d’une lutte pour son honneur vis-à-vis de l’opinion publique, puis de la postérité3.Dans les années 1930, on refusa encore d’attribuer la carte du combattant aux prévôtaux de Grande Guerre.

Par-delà les critiques, il convient de rappeler que la gendarmerie n’avait pas démérité puisqu’elle compta deux généraux, 43 officiers et 834 gendarmes tués ou morts au front, 2 300 blessés et 4 800 citations4. Pour autant, le débat autour des prévôtés ne s’apaisa que dans les années 1950, lorsque les légions de marche d’Indochine offrirent à la gendarmerie l’occasion de participer pleinement aux combats, mais aussi parce que la génération des prévôts de la Grande guerre avait largement disparu.

1Jean-Noël LUC, Histoire des gendarmes de la Maréchaussée à nos jours, Paris, Nouveau Monde éditions, 2016, pp. 94-95.

2Ibid., pp. 96-97.

3Louis PANEL, « Cognes, hommes noirs et grenades blanches : les enjeux de la représentation des gendarmes de la Grande Guerre », Sociétés & Représentations, vol. 16, no. 2, 2003, p. 167.

4Yann GALERA. « Les prévôtés vues par les Poilus », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 210, n° 2, 2003, p. 111.

Source: GENDCOM / Crédit photo: © D.R.