Les vétérinaires du service de santé des armées et leurs auxiliaires sont des acteurs essentiels dans la vie du régiment de cavalerie de la garde républicaine. Au quotidien, ils s’assurent du bon état de santé et du bien-être des 460 chevaux de l’unité : prophylaxie, soins du quotidien, traitement des différentes pathologies, et même actes de chirurgie dans le bloc opératoire du Quartier des Célestins… qui vous ouvre aujourd’hui ses portes. Immersion !

Aujourd’hui est une journée particulière pour Rivage de Flots. En effet, ce cheval de 12 ans, affecté au régiment de cavalerie de la garde républicaine, se prépare à passer sur la table d’opération pour l’exérèse de deux tumeurs cutanées, situées à l’intérieur de la cuisse droite et sur l’aine opposée. Des grosseurs le plus souvent bénignes, mais pouvant proliférer rapidement, devenant alors très gênantes et douloureuses, voire une source d’infections. Rivage n’a pas loin à aller depuis son box, le bloc opératoire étant implanté au cœur de la caserne des Célestins.

Phase pré-opératoire : l’endormissement

Il est 8 heures du matin. Rivage est à jeun depuis la veille pour prévenir tout risque d’éclatement de l’estomac au moment de l’endormissement, ou plus exactement du couchage. Une étape toujours délicate au regard du risque de mauvaise chute.

L’un des vétérinaires, le capitaine (CNE) Vincent Gouzer, assisté d’un auxiliaire vétérinaire, commence par lui poser un cathéter dans l’une des veines jugulaires. Les deux militaires procèdent ensuite au nivellement des dents pour éviter qu’une arête saillante ne vienne perforer le ballonnet de la sonde endotrachéale lors de l’intubation, au risque de compromettre l’étanchéité du circuit d’anesthésie.

Le cheval est ensuite conduit dans la zone de couchage jouxtant le bloc opératoire. Là, une première injection de tranquillisants va rapidement le mettre en état d’hypovigilance, ce qui permettra non seulement de pouvoir procéder au couchage de l’animal, mais aussi, par la suite de potentialiser les anesthésiques, un cocktail essentiellement composé de kétamine.

Sous la surveillance d’un auxiliaire qui lui maintient la tête par son licol, Rivage commence à sombrer dans un état second et à tanguer sur ses jambes.

Quand ils estiment que le moment est venu, l’anesthésiste et le garde doivent, par une technique bien particulière de transfert de poids, amener le cheval à s’asseoir en douceur sur son arrière main, puis le faire basculer sur le flanc pour le coucher en douceur.

« Il faut le guider pour qu’il ne tombe pas seul, et surtout qu’il ne bascule pas la tête la première, confie le CNE Gouzer. C’est une phase délicate, au cours de laquelle le risque de blessure est important. »

Pour amortir la « chute » et réduire le risque d’incident, le sol ainsi que les murs de la pièce sont d’ailleurs entièrement capitonnés.

Une fois au sol, une deuxième injection va plonger Rivage dans un état d’inconscience encore plus profond. Enfin, sur décision de l’anesthésiste, qui surveille les réflexes palpébraux du cheval (paupières), son transfert vers le bloc peut commencer. La procédure est impressionnante pour les néophytes. En effet, des sangles sont tout d’abord attachées au-dessus des quatre sabots de l’animal, avant d’être fixées à un palan motorisé. Ainsi suspendu par les pieds, un auxiliaire lui maintenant la tête en hauteur, le cheval est transporté inconscient d’une pièce à l’autre pour être déposé, en decubitus dorsal (sur le dos), sur une table d’opération adaptée, permettant de maintenir sa tête et son encolure et de caler ses quatre membres.

Une préparation minutieuse…

Pendant que le chirurgien, le vétérinaire en chef (lieutenant-colonel) Yan Santinelli et sa collaboratrice la CNE Camille Benoît-Godet, vétérinaire fraîchement sortie d’école, se préparent, ainsi que le matériel qui leur sera nécessaire, l’anesthésiste intube « son patient », sécurisé sur la table, pour une anesthésie en relais gazeux. Il installe les pinces de l’électrocardiogramme sur son poitrail et le brassard du tensiomètre à la base de sa queue, où passe une artère, afin de pouvoir suivre ses constantes tout au long de l’opération.

Les zones qui vont être opérées sont rasées et désinfectées, tandis que le fourreau, nid à germes, est cousu sur lui-même pour prévenir les risques d’infection. Le cheval est ensuite recouvert d’un champ opératoire.

Enfin, après une dernière confirmation de l’anesthésiste, l’opération peut commencer…

La première tumeur est retirée, mais celle-ci étant assez étendue, la plaie s’avère complexe à refermer. Le chirurgien doit procéder à un décollement sous-cutané pour gagner en surface de peau et pouvoir répartir la tension de la suture. Une suture particulière, dite capitonnée, qui nécessite plusieurs passages et différents fils, de façon à réduire au maximum les tiraillements sur les points.

« Finalement, enlever cette tumeur est la partie la plus simple de l’opération, confie le vétérinaire en chef, le plus gros du travail vient après. »

Constantes sous surveillance

Le CNE Gouzer, quant à lui, ne quitte pas le chevet du patient, contrôlant son état d’hypovigilance et ses constantes, non seulement sur les moniteurs, mais aussi en prenant manuellement son pouls au niveau de la mâchoire, où passe une artère mandibulaire. « Si la tension monte ou que les réflexes palpébraux reviennent, cela signifie que le cheval a mal ou qu’il se réveille, ce qui peut s’avérer dangereux pour lui comme pour les praticiens. À l’inverse, s’il s’enfonce trop profondément, il encourt des risques post-opératoires, notamment au niveau neurologique et musculaire », explique le vétérinaire anesthésiste.

La deuxième tumeur est de la taille d’une balle de tennis. Impressionnante, mais au final plus simple à retirer et à suturer au regard de son caractère plus ramassé. Celle-ci ne nécessitera d’ailleurs qu’une suture simple, beaucoup plus rapide à réaliser.

Le chirurgien ayant presque achevé son travail, l’anesthésiste peut commencer à réduire la dose de produit diffusé par voie gazeuse, afin d’enclencher la phase de réveil…

Réveil sous surveillance…

Après un peu moins de deux heures sur la table d’opération, Rivage peut être conduit en salle de réveil, selon la même procédure que celle utilisée pour le transporter au bloc.

Dans cette pièce, également capitonnée, l’anesthésiste retire le tube enfoncé dans sa trachée et en passe un plus fin par l’un de ses naseaux, afin que le cheval puisse continuer à respirer en cas d’œdème dans la gorge dû à l’intubation. Par principe de précaution, une injection de corticoïdes lui est également administrée.

Il faudra une bonne heure, soit la moitié du temps d’endormissement, pour que Rivage soit d’aplomb… ou presque ! Cette phase de réveil se déroule sous l’étroite surveillance de l’anesthésiste et d’un auxiliaire, qui maintiennent doucement mais fermement l’animal au sol, pour éviter qu’il ne tente de se relever trop brusquement et ne se blesse en se cognant ou en retombant brutalement, encore désorienté par l’anesthésie.

Le cheval restera ensuite pendant cinq jours dans un box à part, sous surveillance, avant de regagner son unité. « Ce type d’opération ne présente pas de gros risques septiques, mais toute intervention nécessite une surveillance a posteriori pour éviter tout risque d’infection », précise le LCL Santinelli. Alors au menu des jours suivants pour Rivage : antibiotiques, anti-inflammatoires et soins locaux des plaies… Au bout de deux semaines, les points pourront être retirés et il pourra alors reprendre le travail.

Des soins courants aux pathologies plus sérieuses : le quotidien du groupe vétérinaire

Unité du Service de santé des armées (SSA) implantée au sein du quartier des Célestins, le 23e groupe vétérinaire, commandé par le LCL Olivier Carette, est dédié au soutien du régiment de cavalerie de la garde républicaine et plus précisément de ses 460 chevaux.

Fort de quatre vétérinaires et de sept auxiliaires vétérinaires, recrutés et formés parmi les sous-officiers volontaires de la garde, il est compétent pour les quartiers des Célestins, Carnot et Goupil. Ce dernier, situé à Saint-Germain-en-Laye, abrite le centre d’instruction, et bénéficie de la présence permanente d’un auxiliaire vétérinaire. Sauf urgence, les vétérinaires s’y rendent une fois par semaine pour superviser certains soins, mais aussi pour y dispenser des cours d’hippologie aux élèves.

La moitié des consultations effectuées par le groupe vétérinaire concerne les petits soins courants, les traitements dermatologiques et les plaies bénignes, souvent gérées par les auxiliaires vétérinaires.

© MDL – F. Garcia

Pour les vétérinaires eux-mêmes, une grosse partie de l’activité a trait aux pathologies locomotrices et de fait à la détermination de l’aptitude à servir. Cavaliers et vétérinaires sont en effet très attentifs à la moindre boiterie ou irrégularité d’allure des chevaux, lesquelles donnent systématiquement lieu à une exploration clinique et à un bilan par imagerie médicale (échographie). « C’est un domaine qui nécessite une bonne connaissance anatomique, car le traitement de la pathologie locomotrice ne réside pas forcément dans la pharmacopée, du moins pas uniquement. En effet, il passe également par la kinésithérapie et la ferrure, en lien avec les maréchaux-ferrants de la garde, véritables podologues-staturologues équins », précise le LCL Santinelli.

Les chevaux peuvent également présenter des pathologies digestives, comme les coliques, dont 90 % sont bénignes et se gèrent avec un traitement médical, ainsi que des pathologies respiratoires et ophtalmologiques…

L’activité de prophylaxie est par ailleurs très importante. « Nous menons deux campagnes de vaccination et de vermifugation par an, ce qui permet de limiter les incidences sur les pathologies respiratoires d’une part, et sur les coliques d’autre part, car le parasitisme est l’un des principaux facteurs favorisant de ce type d’affection, explique le LCL Santinelli. Une fois par an, nous procédons également à un contrôle dentaire et au besoin au nivellement des dents. Les chevaux ont en effet des dents à pousse continue, comme les lapins. De fait, avec le temps, surviennent des défauts d’usure qui se matérialisent par des crêtes émaillées. Un animal en pâturage, qui broute toute la journée, ne connaît que rarement ce problème, mais en écurie, avec des repas fixes, le temps de mastication et par conséquent l’usure de l’émail s’en trouvent réduits. Nous devons donc limer ces arêtes tranchantes, qui peuvent être source de blessures dans la bouche et provoquer à terme des problèmes de mastication voire d’alimentation. »

30 à 50 actes de chirurgie par an

Le nombre de chirurgies varie d’une année sur l’autre, dans une fourchette de 30 à 50 actes par an.

Il s’agit la plupart du temps du retrait de tumeurs cutanées, d’interventions sur des plaies plus ou moins profondes et de castrations. Cependant, les vétérinaires réalisent également des chirurgies plus complexes, comme le rinçage des sinus avec trépanation, l’extraction des molaires nécessitant l’ouverture de la boîte crânienne, le rinçage articulaire… D’autres pathologies, comme les praxies abdominales (manœuvres manuelles visant à remettre les intestins en place de manière non invasive), nécessitent également une anesthésie générale sans pour autant se traduire par une intervention.

Enfin, les chirurgies très spécifiques, et donc plus rares, comme les coliques nécessitant une laparotomie, sont réalisées en partenariat avec l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, soit sur le site des Célestins, soit sur celui de l’école. « Ce type de chirurgie ne se présentant qu’une ou deux fois dans l’année, nous préférons nous appuyer sur l’expertise de l’école vétérinaire, rodée par un bien plus grand nombre d’opérations. L’objectif est d’offrir la prestation la plus juste sur des chirurgies que nous ne pratiquons pas assez souvent pour avoir le même degré de performance, particulièrement en termes de durée d’opération. Or, pour un cheval, le temps d’anesthésie est très important », précise le LCL Santinelli.

Campagne d’achats et de réformes des chevaux

De mars à septembre, les vétérinaires participent également aux visites d’achats des chevaux. En effet, chaque année, 7 à 9 % des effectifs sont renouvelés pour compenser les départs pour cause de retraite, de maladie ou d’inaptitude. « Nous achetons des chevaux de trois ans dans des élevages français, explique le vétérinaire. Avant de conclure chaque achat, nous devons procéder à des examens cliniques et radiologiques afin de déterminer leur aptitude à servir. »

Les vétérinaires interviennent également dans le cadre de la procédure de réforme. Celle-ci intervient dans trois cas : l’âge de la retraite, vers 16 ans, la survenue d’une maladie et une inaptitude comportementale à servir.

« Il peut arriver que nous repoussions l’âge de la retraite d’un cheval si celui-ci est en bonne forme. Inversement, si la poursuite de l’activité opérationnelle devait détériorer l’état de santé de l’animal, nous préférons nous prononcer sur sa réforme, même s’il est encore jeune. Il nous faut toujours trouver un juste milieu entre le maintien opérationnel et la surexploitation de l’animal. Nous sommes aussi là pour nous assurer du bien être de l’animal dans le cadre de son emploi.

Nous sommes les garants de sa qualité de vie. Notre objectif n’est pas de les « user » avant de les faire partir en retraite, au contraire », insiste le vétérinaire en chef.

Vétérinaires projetables

Enfin, les vétérinaires de la garde républicaine ne sont pas cantonnés à « leurs » quartiers. Ils sont en effet amenés à suivre le régiment de cavalerie dès lors que celui-ci se projette sur le territoire national ou à l’étranger, loin de tout soutien vétérinaire, comme lors du 75e anniversaire du débarquement ou du prochain G7 à Biarritz. Et le LCL Santinelli de confier : « J’ai par exemple le souvenir d’avoir convoyé par voie terrestre et maritime 42 chevaux jusque dans le sud du Maroc. Une véritable épopée ! »

Source: gendinfo.Fr / Crédit photo:© D.R.