Formations pluridisciplinaires dédiées à la lutte contre l’économie souterraine, les Groupes interministériels de recherches (GIR) interviennent principalement sur le volet patrimonial des enquêtes, en appui et au profit des unités en charge des investigations, afin d’identifier et de saisir les avoirs criminels les plus complexes. Découvrons le fonctionnement de ces unités et faisons un focus sur la Coordination nationale des GIR (CNGIR), dirigée alternativement tous les deux ans soit par un commissaire de police, soit, comme actuellement, par un officier supérieur de la gendarmerie.

Créés en mai 2002, les Groupes d’intervention régionaux (GIR), devenus depuis 2019 les Groupes interministériels de recherches, viennent appuyer les unités saisies d’une enquête comportant un volet financier ou patrimonial assez complexe, apportant leur technicité pour contribuer à la captation de ce patrimoine, immobilier ou mobilier, en vue de le reverser au budget général de l’État, d’indemniser les parties civiles ou de l’affecter directement à un service enquêteur.

Ils sont armés par des gendarmes, des policiers, des douaniers, des agents du Fisc, voire de l’Urssaf ou de la caisse primaire d’assurance maladie pour certains.

Il existe aujourd’hui 36 GIR, en métropole et en outre-mer (dont celui de Mayotte mis en sommeil depuis 2014). Quinze sont placés sous l’autorité de la gendarmerie nationale, dix-sept sous celle de la police nationale, les quatre derniers sous celle de la préfecture de police de Paris.

2010 : une année charnière

En 2010, a été créée la Coordination nationale des GIR (CNGIR), qui a pour vocation d’harmoniser le travail des GIR et de coordonner leur action. La direction de la CNGIR est assurée, au sein de la Direction centrale de la police judiciaire de la police nationale, de manière biennale et alternative, par un officier supérieur de la gendarmerie nationale ou un commissaire de police. Le colonel Hervé Pétry est ainsi, jusqu’en 2021, le coordinateur national des GIR.

C’est aussi en 2010 que la loi Warsmann est venue faciliter les saisies et ainsi l’action des GIR qui, depuis 2008, est recentrée sur la confiscation des avoirs criminels, pour lutter efficacement contre l’économie souterraine. Cette loi déterminante a, d’une certaine manière, institué et généralisé l’enquête patrimoniale.

Une action en trois temps

Depuis la brigade territoriale jusqu’à la section de recherches et aux offices centraux, toute unité saisie pour une enquête complexe peut, après analyse, décider de solliciter un GIR.

Dès lors que ce dernier entre en action, il cherche tout d’abord à déceler le patrimoine existant.

Il doit ensuite identifier tout ce qui est en lien avec l’activité criminelle et ce qui ne l’est pas. Enfin, vient la mise en route de la procédure de saisie du patrimoine incriminé.

Dépasser les frontières

« Dans la criminalité organisée, il y a une forte influence étrangère. Une partie des avoirs, notamment en matière de stupéfiants, quitte le territoire pour être blanchie en étant réinvestie à l’étranger, comme au Maghreb, au Moyen-Orient ou en Chine, bien souvent dans l’immobilier… On bascule alors vers la coopération internationale, explique le colonel Hervé Pétry. Au sein du ministère de l’Intérieur, nous pouvons compter sur la Plateforme d’identification des avoirs criminels (PIAC), qui dispose du réseau ARO, sur le plan européen, et CARIN, au niveau mondial, afin de déterminer ce que les mis en cause possèdent à l’étranger. Les pays étrangers ont eux aussi intérêt à récupérer une partie de la somme du bien mal acquis. Parfois, certaines nations se montrent peu coopératives. »

Dans d’autres cas, l’argent est blanchi dans des sociétés en France, au travers de montages de sociétés écrans frauduleuses. « Certains enquêteurs de GIR ayant une expertise dans le domaine financier sont capables de déchiffrer tous ces schémas. C’est là que l’on se rend compte de la réelle plus-value des GIR, notamment dans la lutte contre le blanchiment du trafic de stupéfiants. »

Des résultats probants

Durant les cinq dernières années, l’action des 418 personnels, dont 138 gendarmes, des différents GIR, représente plus du tiers de la totalité des avoirs criminels saisis par l’ensemble des forces de sécurité intérieure. « Les GIR attaquent les délinquants et les criminels au portefeuille pour récupérer les biens acquis grâce à des ressources illégales. Ce qui permet d’indemniser les victimes et, si possible, d’équiper les forces de sécurité en moyens, voire de renflouer le budget de l’État, précise l’officier. Quand vous saisissez une maison qu’un criminel a construite grâce au fruit de trafics illégaux en tous genres, non seulement vous rétablissez une certaine forme de justice, mais en plus de cela vous lui enlevez le patrimoine de toute une vie de criminel, constitué sur le dos de ses victimes, et dont il comptait user librement pour ses vieux jours. Il y est du coup beaucoup plus sensible qu’à une simple peine de prison. Les décisions de confiscation sont d’ailleurs devenues les cibles régulières d’attaques par les avocats. À tel point qu’au niveau de la Cour de cassation, il y a désormais trois conseillers référendaires à plein-temps dédiés à ce contentieux, qui prend de plus en plus d’ampleur. »

La gendarmerie optimise le recours aux GIR

En 2019, 48 % des saisies d’avoirs criminels réalisées par les GIR l’ont été dans le cadre d’enquêtes dirigées par la gendarmerie, dont les dossiers ne constituent pourtant que 34 % du volume total d’enquêtes impliquant les GIR. Les dossiers comportant des enjeux patrimoniaux sont donc bien ciblés par la gendarmerie, qui utilise les GIR de manière très efficiente dans le cadre d’affaires le plus souvent complexes et à forte valeur patrimoniale. Sur les cinq dernières années, les GIR ont ainsi contribué à hauteur de 43,5 % de la totalité des avoirs criminels saisis par la gendarmerie.

Travailler ensemble

Quelle que soit la direction d’un GIR, police ou gendarmerie, il y a un véritable esprit de corps qui se crée, tout en respectant les identités et l’ADN de chacun : policier, gendarme, agent du Fisc, etc. En plus de s’enrichir du travail avec les autres administrations, les personnels bénéficient du partage des différents fichiers de recherche et peuvent compter sur les compétences et les prérogatives de chacun. Par exemple, l’agent du Fisc va pouvoir faire une analyse fiscale complète. De son côté, le gendarme ou le policier va apporter sa vision d’enquêteur judiciaire.

Ce fonctionnement transverse permet un gain de temps considérable ; les stratégies d’enquête se définissant très vite au sein des bureaux grâce à une grande réactivité.

Profil et formation

Tous les enquêteurs affectés en GIR présentent des profils confirmés dans la lutte contre la délinquance et la criminalité, et n’ont pas forcément un profil d’enquêteur financier. Mais il est important que certains d’entre eux aient une compétence financière un peu plus poussée.

Deux fois par an, une formation enquêteur GIR d’une semaine est dispensée par la CNGIR, au profit des militaires nouvellement affectés : enquête patrimoniale, stratégie d’enquête, l’environnement de travail, etc.

Le but est de poursuivre cette formation, mais en accentuant un peu plus le contenu sur le volet financier. En effet, il est important que certains enquêteurs GIR soient en capacité d’établir un lien entre des trafics de stupéfiants et des formes de blanchiment dans l’économie réelle, en mettant à jour des abus de biens sociaux, des banqueroutes frauduleuses, etc.

Les patrons de GIR

À la tête de chaque GIR se trouve un chef expérimenté ayant commandé une unité de recherches. Il faut une gestion fine, avec une capacité d’écoute, tout en sachant fédérer les synergies.

Le chef doit savoir aborder ses autorités de tutelle : les procureurs de la République et les procureurs généraux, sur le volet judiciaire, et les préfets de région ou de zone, du côté des autorités administratives. C’est un poste à haut niveau de représentativité.

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Le colonel Hervé Pétry, directeur de la Coordination nationale des GIR.

© SIRPA GEND Major F. Balsamo

Rôle du CNGIR

« Le CNGIR assure le suivi du portefeuille d’enquêtes des GIR et des résultats qu’ils ont obtenus. Il veille à ce qu’ils puissent répondre aux demandes classiques de concours venant des unités de terrain, ou à celles émanant du cabinet du Ministre, explique le colonel Pétry. Une autre de ses missions est d’appuyer l’ensemble des GIR pour régler leurs difficultés en termes de fonctionnement ainsi que les problématiques qu’ils rencontrent sur le plan des ressources humaines. Enfin, il anime le partenariat entre les différents acteurs que sont les directions de la gendarmerie, de la police, des finances publiques, des douanes et droits indirects, ainsi que la Délégation nationale de la lutte contre les fraudes (DNLF), l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), le Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN), etc. »

Le colonel Pétry a également dans sa feuille de route la rédaction d’une doctrine d’emploi, rénovée et redynamisée, prenant en compte les évolutions tant juridiques que celles de la criminalité et de l’économie souterraine.

Autre objectif majeur : l’organisation, en 2020, des premières Assises nationales des GIR, qui se tiendront à l’Assemblée nationale. « Après bientôt vingt ans d’expérience, on peut dire que c’est un dispositif extrêmement solide, efficace et moderne. Il s’agit maintenant d’en dresser le constat et d’orienter leur action pour la prochaine décennie, afin de continuer à frapper les criminels là où ils sont le plus faibles, c’est-à-dire au portefeuille, afin que le crime ne paie pas et que la sanction soit juste », conclut le colonel.

Source: gendinfo.fr / Crédit photo: © D.R.