En s’appuyant sur les sciences traditionnelles et les évolutions technologiques, les enquêteurs ont plusieurs outils à leur main pour identifier une victime, confondre l’auteur d’un crime, retracer le parcours d’une arme à feu, ou du moins orienter efficacement leurs investigations à la recherche de la vérité. Médecine légale, odontologie, génétique, anthropologie, morphoanalyse des traces de sang, faune et flore forensiques, armes et explosifs… Chaque expertise apporte sa pierre à l’enquête.
Si la prise en compte de toute scène de crime relève des Techniciens en identification criminelle (TIC) locaux et, pour les traces numériques, des techniciens en Nouvelles Technologies (NTECH), face à une scène de crime complexe ou sensible, ou encore nécessitant une expertise particulière ou l’emploi de matériel spécifique détenu en central, les unités de terrain peuvent compter sur les experts du PJGN. Chacun dans son domaine, ces derniers s’appliquent à fournir un appui à distance ou en se projetant sur site, afin d’apporter rapidement, au plus près des enquêteurs, des éléments de réponse.
Découverte de corps : dater le décès et en trouver les causes
L’une des priorités des enquêteurs est de déterminer la date, voire l’heure de la mort, puis d’en connaître les causes. C’est le travail des médecins légistes. Les enquêteurs travaillent avec les Instituts médico-légaux locaux. Pour autant, le plateau de médecine légale du PJGN, qui agrège différentes expertises, telles l’odontologie ou encore l’anthropologie, peut leur apporter ses conseils et son appui pour réaliser des synthèses médico-légales sur pièces, vulgarisant ainsi des rapports médicaux souvent longs et complexes. Ils réalisent aussi des expertises conjointes avec d’autres départements de l’Institut et assistent les enquêteurs lors des reconstitutions judiciaires, permettant de révéler des incohérences entre les déclarations du mis en cause et les lésions constatées. L’objectif : « fermer des portes » en fonction des hypothèses des enquêteurs. Une de leurs missions est aussi de conduire des autopsies sur les personnels militaires décédés, le plus souvent lors de missions à l’étranger. Ils peuvent aussi être sollicités, en cas de besoin, pour procéder à des actes de thanatologie dans le cadre de procédures judiciaires dans le Val-d’Oise, sous couvert d’une convention. Les deux médecins légistes et leur « pool » de réservistes font également partie de l’unité gendarmerie d’identification des victimes de catastrophe. Ce qui les a conduits à se projeter dernièrement dans les Alpes-Maritimes, après le passage de la tempête Alex, ou encore en Savoie, après le crash de l’hélicoptère du Service Aérien Français.
Quand insectes, invertébrés aquatiques et diatomées jouent les « indics »
Au-delà de 72 heures, il est toutefois difficile pour le médecin légiste de se prononcer avec précision sur la période de décès. Le département Faune et Flore Forensiques (FFF) peut alors apporter une plus-value selon les différents milieux de découverte d’un corps. En milieu aérien (en intérieur ou en extérieur), les entomologistes se basent sur la datation de la ponte des insectes, pour estimer le délai post mortem minimum, c’est-à-dire le temps écoulé entre le décès et la découverte du corps. L’entomologie légale s’appuie sur le postulat que la période de ponte est généralement concomitante au décès. S’il n’existe aucun obstacle physique ou climatique (emballage, enfouissement, déplacement, réfrigération…) à l’arrivée des insectes, ce postulat s’avère exact. Il reste cependant une part d’incertitude, due à différents paramètres, comme l’association directe des insectes nécrophages avec le corps, ou encore l’association du site de découverte avec l’ensemble de la phase de décomposition. En ce sens, l’estimation temporelle doit être comprise comme une période minimale de décès (ou décès avéré), aboutissant quelquefois à une probable antériorité. Outre ces dossiers, pas forcément criminels, qui constituent 95% de l’activité des entomologistes, les insectes peuvent également être au cœur d’autres procédures, où leur identification et leur biologie apportent un éclairage au dossier, constituant parfois l’infraction elle-même. Il peut s’agir, à titre d’exemple et de manière non-exhaustive, de la contamination de compléments alimentaires, de la détention/importation d’espèces protégées, ou de demandes d’identification dans le cadre d’escroqueries. Si le corps est retrouvé en milieu aquatique, les biologistes ont alors d’autres « indics », leur permettant, d’une part, d’établir un diagnostic de noyade vitale, et d’autre part, d’estimer le délai minimal de submersion. Si le médecin légiste n’a pas pu se prononcer sur la noyade, ou plus simplement si le diagnostic médico-légal est incertain, la recherche de diatomées permet de se prononcer sur un diagnostic de noyade en milieu aquatique naturel d’eau douce. Mais le département travaille avec l’IFREMER sur un projet de détermination de noyade en mer. Dans le même temps, la colonisation, dans un ordre temporel, par différents invertébrés aquatiques, va permettre de donner une estimation du temps de présence dans l’eau. Les experts du département FFF ne se déplacent que rarement sur le terrain. En dehors des affaires complexes, ils s’appuient sur les TIC (et leurs équivalents police), dûment formés et équipés pour réaliser photos et prélèvements, ainsi que sur le médecin légiste.
Identifier la victime ou confondre un auteur
Pour identifier une victime inconnue ou l’auteur d’un acte criminel, les enquêteurs peuvent tout d’abord faire parler les empreintes et l’ADN. Les TIC ou TICP s’appuient pour ce faire sur le Fichier d’analyse des empreintes digitales (FAED) et sur la division criminalistique biologique et génétique pour comparer leurs prélèvements aux profils en base. L’exploitation de ces éléments est un outil puissant pour identifier une personne, si tant est qu’il existe une source de comparaison fiable. L’odontologie justifie elle aussi une identification formelle. « Un seul élément suffit, grâce à la comparaison avec des examens dentaires ante mortem ; et ce, même sans dent, car nous pouvons nous appuyer sur l’empreinte des racines », insiste l’IPST (Ingénieur Principal des Services techniques) Aimé, chef de l’unité d’expertise odontologique, expert auprès de la Cour d’appel de Versailles et de la Cour de cassation. Notamment sollicité dans le cadre des cold cases, il reçoit ainsi des crânes, des mandibules, des maxillaires, des dents seules et même des appareils dentaires… En l’absence d’éléments de comparaison, l’expert procède à une identification estimative, qui va apporter plusieurs informations sur la victime : sexe, âge, groupe biologique, habitudes alimentaires, traitements médicaux, mode de vie (fumeur, consommateur de stupéfiants…) et même une indication sur le métier… Ce faisceau d’éléments apporte des orientations, permettant à l’enquêteur de restreindre ses recherches. L’odontologie a également développé une nouvelle expertise : l’identification des traces de morsures humaines, grâce à laquelle il est possible de relier, de manière objective, les traces provoquées à une mâchoire.
Transferts de traces…
Entre autres matières biologiques pouvant être transférées entre un auteur, une victime et/ou les lieux d’un crime, se trouve le pollen. La palynologie légale, telle que développée par le département FFF, permet de réaliser des rapprochements entre personnes, objets et formation végétale. Le principe consiste en la comparaison de traces au travers de leurs empreintes polliniques. La palynologie légale peut également être utilisée dans le cadre d’enquêtes relatives aux trafics de cannabis, où elle permet d’impliquer une personne dans la manipulation de plants et de mettre en évidence un lieu de culture indoor, de discriminer des pains de résine cultivés indoor ou outdoor, voire d’associer des lots susceptibles de provenir du même site de production. Depuis 2010, d’autres biologistes généticiens du département FFF se sont par ailleurs intéressés à l’identification moléculaire des espèces, s’attachant plus particulièrement au règne animal. Cette discipline permet ainsi de déterminer l’espèce animale dont sont issues les matières organiques prélevées (poils, sang, fluides organiques…) sur une scène de crime, de découverte ou d’infraction. Crimes, accidents de la route impliquant un animal, décès d’équidés, trafics d’espèces protégées ou encore importation de viande de brousse, les applications sont nombreuses. Parallèlement, les biologistes peuvent être ponctuellement sollicités pour une identification « individuelle », par comparaison de traces. Une compétence qu’ils développent plus spécifiquement pour le chien et le chat.
Faire parler les os
Il arrive très souvent que les gendarmes se trouvent face à la découverte d’un corps à l’état de squelette ou que des gens tombent inopinément sur des ossements… Entre 200 et 400 corps sont retrouvés en France chaque année. « Une grande partie de ces découvertes concerne des corps à l’état de squelette », confirme la lieutenante (LTN) Gaëlle, anthropologue à l’IRCGN. C’est alors qu’elle et ses camarades entrent en scène. D’abord pour confirmer la nature humaine des ossements épars, ce qui peut se faire très rapidement à distance, sur photos. L’examen approfondi est ensuite réalisé à Pontoise, au laboratoire du département Anthropologie et Hématomorphologie (ANH), qui reçoit, chaque année, plus d’une centaine de sollicitations pour l’analyse d’ossements. Il peut aussi s’agir de corps plus récents ayant subi des dégradations (carbonisation ou démembrement). L’objectif est d’abord de les dater, pour juger de la pertinence d’initier une enquête. L’analyse anthropologique complète permet ensuite de déterminer le sexe, une tranche d’âge, l’origine ethnique et la taille de la victime, mais également d’effectuer une étude ostéo-pathologique (pathologies, lésions ou fractures ante mortem). Autant d’éléments qui vont donner des orientations aux enquêteurs pour l’identifier. Enfin, les experts portent une attention particulière aux lésions péri mortem, subies aux environs de la mort ou l’ayant potentiellement causée, afin de déterminer un mécanisme lésionnel, c’est-à-dire la force, la direction du coup porté et même le type d’outil utilisé. Ils peuvent également être amenés à établir une comparaison d’armes. Grâce au scanner 3D du plateau de médecine légale et à des logiciels spécifiques, il leur est aussi possible de réaliser une reconstitution faciale à partir d’un crâne. Le visage neutre obtenu sera complété suivant les éléments morphologiques apparents (couleur des yeux, des cheveux, de la peau et origine biogéographique) de l’individu, déterminés par les experts en génétique. Les anthropologues sont régulièrement amenés à se déplacer lors de la découverte d’un corps enfoui ou partiellement enfoui, afin de procéder aux fouilles selon des méthodes empruntées à l’archéologie. La recherche d’un corps se fait souvent en lien avec les équipes cynophiles de Gramat et le géoradar du département Signal images paroles (SIP), mais dès lors qu’il faut ouvrir le sol, la présence d’un anthropologue est nécessaire pour « le lire » et employer les outils spécifiques. « Il y a un protocole pour préserver le maximum d’indices au-delà même du corps. Cela peut être des liens, des textiles, des documents, des bijoux, des morceaux de bâche, et ce, même dans les couches supérieures du sol. On peut, par exemple, retrouver des éclats de peinture provenant de la pelle qui a servi à enfouir le corps, précise l’anthropologue. Aujourd’hui, l’IRCGN est la seule institution en France à faire de l’anthropologie en police technique et scientifique, ainsi que de l’archéologie forensique. »
Crimes de sang
Certaines scènes de crime sont particulièrement sanglantes. Les traces de sang sont des éléments criminalistiques qui peuvent donner des informations sur le déroulement des faits pour le regard averti des experts en morpho-analyse des traces de sang du département ANH de l’IRCGN. Si une première évaluation se fait sur photos, cette discipline se pratique essentiellement sur les lieux des faits, l’activité en laboratoire étant limitée aux analyses sur pièces et au traitement de scellés. Les morpho-analystes des traces de sang se transportent sur site, sur saisine d’une Cellule d’identification criminelle (CIC), d’une unité de recherches ou d’un magistrat. Outre le matériel de constatations classique, ils emportent des moyens de haute technologie, notamment le laser scanner du département SIP, afin de modéliser la scène en 3D. De retour au laboratoire et à partir du modèle 3D réalisé, ils pourront effectuer des études techniques, portant par exemple sur les trajectoires. « Le travail consiste à analyser la forme de la trace de sang afin d’en identifier le mécanisme de création. Il ne s’agit pas de faire de datation, ni de désigner l’auteur ou encore son intentionnalité au moment des faits, explique la LTN Léa, chef du département ANH. Les morpho-analystes émettent plusieurs hypothèses pouvant expliquer le déroulement des faits, qui serviront de base à la confrontation des auditions des différentes parties. » Le département traite ainsi plus d’une centaine de sollicitations en morpho-analyse des traces de sang en une année pour l’ensemble du territoire.
L’histoire de l’arme
Qui dit crime, dit arme, et très souvent arme à feu, avec chacune sa propre histoire, comme se plaît à souligner le LTN Philippe, affecté au SCRC, à la tête du département atteintes aux biens, point d’entrée du Plateau d’investigation sur les explosifs et les armes à feu (PIXAF). Cette plate-forme associe un groupe permanent de quatre enquêteurs du SCRC et les compétences en balistique et en explosifs de l’IRCGN, auxquels viennent s’agréger différentes disciplines selon les besoins : C3N pour le volet cyber, département informatique électronique pour l’exploitation de disques durs, département SIP, consultation des fichiers, etc. L’objectif : proposer une réponse globale à toute problématique en lien avec les armes, notamment à la suite d’une saisie. Dans un premier temps, sur photos, les experts balisticiens peuvent indiquer la catégorie, le calibre et le modèle de l’arme, tandis que le groupe enquête commence la consultation des bases de données, pour vérifier si elle n’a pas été déclarée volée, en France ou à l’étranger. Débute ensuite un travail de traçabilité balistique, judiciaire et administrative. « Nous nous attachons à tracer l’arme jusqu’à sa sortie du parcours légal et à vérifier si elle n’a pas servi à commettre d’autres faits, expose le LTN Philippe. C’est pour cela qu’il est important que les enquêteurs fassent parvenir au département balistique les armes saisies, pour analyses, tirs de récupération, intégration au fichier national d’identification et comparaison. De même pour les déchets de tir. » Les enquêteurs et experts du PIXAF peuvent également apporter leur appui lors des perquisitions, dès lors que la présence d’armes est fortement suspectée. D’une part, cela permet aux enquêteurs de travailler en sécurité et, d’autre part, d’être très précis dans l’inventaire des scellés. Un regard d’expert nécessaire, tant la réglementation des armes est complexe. Cette expertise peut être déterminante sur la qualification de l’infraction. « Le balisticien va, par exemple, pouvoir détecter si une arme a été modifiée, ce qui peut influer sur sa catégorie. Plus large[1]ment, il va juger de la pertinence d’analyser les armes et orienter les enquêteurs vers les bonnes saisies, poursuit-il. Nous pouvons aussi retranscrire des interceptions téléphoniques, en raison de l’emploi d’un vocabulaire spécifique. Nous sommes des facilitateurs de compréhension. » Parallèlement à ces sollicitations, le groupe enquêteurs du PIXAF traque, d’initiative, les ventes et échanges illégaux d’armes sur Internet. Les personnels dûment formés peuvent enquêter sous pseudo, avant de transmettre les dossiers aux unités territorialement compétentes. Depuis le 25 mars 2016, le PJGN a par ailleurs été désigné par le ministère de l’Intérieur pour être le point de contact national concernant les vols, disparitions et transactions suspectes de précurseurs chimiques d’explosifs. Tous les renseignements recueillis sont transmis aux unités territorialement compétentes pour levée de doute, ainsi qu’aux acteurs nationaux du renseignement, pour contribution.
Source: gendinfo.fr