Créée en 2017, l’association InvaincuS, forte de plus de 1 000 membres, est un véritable réseau de solidarité, permettant de mieux détecter les blessés, dont certains se retrouvent hors système, d’identifier leurs besoins, de les orienter vers les structures compétentes pour les aider face à leurs difficultés, tout en luttant contre leur isolement social. Elle s’est aussi fixé l’objectif d’apporter un soutien aux blessés psychiques, par la mise en place de stages spécifiques, dont le premier aura lieu en septembre prochain. Rencontre avec son président, Sébastien Breissan.
Tandis qu’il effectue son propre parcours de reconstruction après avoir été blessé en service, le sergent-chef Sébastien Breissan, maître de chien dans l’armée de l’Air, fait le difficile constat que de nombreux blessés échappent volontairement ou involontairement au système d’aides établi. Il trouve aussi que peu d’aides alternatives sont proposées pour les blessures psychiques. En 2017, épaulé par Marina F. (Armée de Terre), Loïc A. (Service de Santé des Armées) et Marc Alexandre R. (Légion étrangère), il crée alors l’association InvaincuS. Tous militaires et blessés, ils connaissent les difficultés à surmonter sur le chemin de la reconstruction et de la résilience, sur lequel ils veulent pouvoir guider leurs camarades.
Vous êtes à l’origine de la création de l’association InvaincuS, en 2017. Qu’est-ce qui a motivé cet engagement ?
Quand j’ai été blessé en service, les premières personnes qui m’ont tendu la main, ce sont d’autres blessés. Ils m’ont aidé à surmonter les embûches administratives au regard de leur propre parcours.
Mon vécu et les échanges avec les uns et les autres dans le cadre de ma reconstruction, notamment au sein des hôpitaux militaires ou lors des stages organisés par le Cercle sportif de l’institution nationale des invalides (CSINI) ou par le Centre national des sports de la Défense (CNSD), m’ont rapidement conduit à dresser deux constats : le premier est que trop de blessés échappent encore au système d’aides établi, volontairement ou involontairement, parce qu’ils n’en n’ont pas connaissance. Et le second, que peu d’aides alternatives sont proposées pour les blessures psychiques, en complément des traitements traditionnels, le plus souvent médicamenteux.
C’est ce qui m’a motivé à créer l’association InvaincuS, dont l’action s’appuie sur l’une des valeurs à laquelle je tiens le plus : la fraternité d’armes. Il faut dire que mon histoire dans le monde militaire a débuté tôt : je suis entré au lycée militaire d’Aix-en-Provence à l’âge de 16 ans. De 19 à 23 ans, j’étais en gendarmerie, avant d’intégrer l’armée de l’Air, où j’étais maître de chien. Depuis mon accident, j’ai gardé de bons contacts avec le Service de santé des armées (SSA), notamment l’HIA Laveran, à Marseille, que je fréquente encore régulièrement et qui supporte mon action, et la Légion, avec laquelle j’ai fait une partie de ma rééducation. Alors, quand j’ai voulu aider les militaires blessés, j’ai souhaité le faire sans distinction. Une démarche qui va un peu à contre-courant de ce qui se fait dans chaque institution, où tout est un peu cloisonné.
Aujourd’hui, l’association compte 1 000 membres, des blessés militaires ou des sympathisants des quatre coins de France, et notre réseau continue de s’agrandir. Certains nous rejoignent sans forcément dire dès le départ qu’ils sont blessés. Je ne suis pas intrusif dans la vie privée des membres. Si l’on partage les mêmes valeurs, c’est suffisant !
Quelles sont, selon vous, les principales difficultés que rencontrent les militaires blessés, quelle que soit leur arme d’appartenance ?
À mon sens, le plus gros problème qu’ils rencontrent, c’est le temps passé dans les démarches administratives. C’est un enfer ! Il y a pourtant des structures qui existent pour nous aider, mais quand on se retrouve dans cette situation du jour au lendemain, on est un peu perdu, livré à soi-même, sans réellement savoir à qui s’adresser
Ensuite, il y a l’isolement social du blessé, qui parfois se retrouve seul chez lui, loin de son régiment, sans structure militaire pour l’épauler. Certains, comme j’ai pu le faire, sont tentés de s’adresser aux associations d’anciens combattants, mais souvent, ces dernières ne sont souvent ouvertes qu’aux militaires ayant servi en Opérations extérieures (Opex). Les gendarmes blessés en France, même par une arme de première catégorie, ne sont donc pas acceptés, car non titulaires de la carte du combattant.
Enfin, l’un des points noirs, c’est le syndrome de Stress post-traumatique (SPT), parce qu’il est très difficile à diagnostiquer, pas forcément reconnu et qu’il y a encore peu d’outils pour le prendre en charge, à l’exception des médicaments, des stages du CReBAT (Centre REssource des Blessés de l’Armée de Terre), mis en place en 2014, et des quelques sessions d’équitation adaptée proposées par le CNSD aux blessés de toutes les armes…
Cela étant, je trouve qu’il y a eu une grosse évolution des mentalités dans les armées. Il y a moins de tabous. Avant, on avait presque l’impression qu’il fallait cacher les blessés, notamment ceux souffrant de SPT. La gendarmerie a d’ailleurs fait d’énormes avancées ces dernières années dans le domaine de l’accompagnement et de la reconstruction des blessés, notamment sous l’impulsion du chef d’escadron Thierry Rousseau, qui a, on peut le dire, révolutionné le système.
Fort de ces constats, quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés au travers de votre association ?
L’association se veut avant tout un réseau de solidarité entre ses adhérents, qu’ils soient blessés ou sympathisants, afin de mieux détecter les blessés, identifier leurs besoins et ainsi les orienter vers les structures compétentes, dont ils n’ont pas forcément connaissance, pour faire face à leurs difficultés. Le but est aussi de mettre en contact les adhérents entre eux, en les répertoriant par région, afin de créer du lien social et un soutien.
Notre objectif est vraiment de récupérer les blessés qui se retrouvent en dehors du système, afin de leur faire profiter de notre expérience, de leur montrer que des aides et des alternatives existent. Certes, ce n’est pas parfait, mais ça a le mérite d’exister. Certains sont en confrontation avec leur institution, presque en rejet. Nous sommes tous passés par cette phase de colère, de ressentiment. L’idée est qu’ils prennent attache avec nous, et l’avantage, à ce stade de leur vie, c’est que nous sommes une association civile. Puis, quand ils en auront la force et la volonté, ils pourront à leur tour aider d’autres blessés.
Il nous semble également indispensable d’accompagner les militaires blessés dans leur reconstruction, en les valorisant par l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et par l’image qu’ils renvoient aux autres, ce qui ne peut se faire sans également sensibiliser la société civile aux blessures physiques et psychiques, ainsi qu’aux valeurs portées par les militaires. C’est notamment ce que nous faisons à travers notre calendrier. C’est une opportunité que nous offrons au monde civil, souvent jugé hostile par les blessés, d’initier un geste de gratitude à leur égard.
Comment se concrétise plus précisément votre action ?
Comme je l’ai évoqué précédemment, nous nous sommes lancés dans la réalisation d’un calendrier en 2017. Le premier était sur le thème de la « reconstruction par le sport ». Celui de 2021, réalisé avec le soutien de l’équipe de France militaire féminine de rugby, met en lumière, tout au long des douze mois de l’année, quinze blessés autour de douze valeurs portées par l’association et communes aux armées et au rugby : fierté, exemplarité, discipline, courage, esprit de sacrifice, rigueur, combativité, sens de l’effort, respect, patriotisme, générosité et solidarité.
Je tiens vraiment à souligner le soutien de cette équipe, interarmes tout comme nous, et qui compte d’ailleurs de nombreuses gendarmes. En plus d’avoir posé au côté des blessés et d’être sympathisantes de l’association, nous sommes régulièrement invités à leurs matchs.
Le calendrier a non seulement un effet très positif sur l’estime qu’ont les blessés d’eux-mêmes, mais c’est aussi un excellent vecteur de communication, qui permet à la fois de changer les regards extérieurs et d’étoffer le réseau de l’association.
En outre, les bénéfices que sa vente génère nous permettent de mettre en place des actions concrètes au profit des blessés. En septembre prochain, nous allons ainsi pouvoir inaugurer le premier stage de reconstruction pour les blessés psychiques, ouvert à toutes les armées. Nous avons opté pour des actions qui n’étaient pas mises en œuvre ailleurs. Le CNSD fait déjà beaucoup de reconstruction par le sport. Nous avons également organisé quelques opérations sportives, à l’instar du stage de sport de combat adapté au handicap (kick boxing), mis en place grâce à un ami, également ancien militaire. Alors nous avons travaillé sur un projet de stage d’apiculture et produits apicoles, en lien avec le SSA de l’HIA Laveran, intéressé pour faire une évaluation de ce stage, afin d’envisager sa labellisation. C’est une approche employée avec succès en Amérique du Nord, au profit des vétérans. On ne peut pas se passer des traitements traditionnels, mais on peut travailler en synergie avec d’autres techniques. Tout est complémentaire.
D’ailleurs, sur ce stage, il y aura un personnel médical et un psychologue. On va se retrouver en petit groupe, entre blessés, presque coupés du monde, au contact de la nature. Cela peut permettre de libérer la parole et la présence du psychologue sera sûrement un plus. Pour cette première édition, le nombre de blessés a été limité au regard des restrictions sanitaires. J’ai choisi d’organiser le séjour dans une abbaye, au cœur du parc naturel régional du Lubéron. Non seulement, l’argent que va verser l’association pour le séjour contribuera à l’entretien de l’édifice, mais il y a aussi un côté spirituel qui est important pour moi.
Avez-vous de nouveaux projets en préparation ?
Pour l’instant, je me concentre sur la préparation du stage d’apiculture prévu en septembre, c’est très prenant. En fonction du résultat, le projet est de le pérenniser, au rythme de quatre par an. Un ami musher m’a aussi proposé de créer un stage de chiens de traîneau dans l’ouest de la France. Alors, à terme, pourquoi ne pas créer un stage sur un thème différent aux quatre coins de France. Je lance donc un appel aux bénévoles qui souhaiteraient faire découvrir leur passion aux blessés. Quasiment tout est adaptable aux handicaps et, à mon sens, ce partage ne peut être que positif dans les deux sens. Après, il faut trouver le financement et les structures d’accueil. J’aimerais pouvoir m’appuyer sur les infrastructures militaires, car il y en a partout en France, ce qui permettrait de réduire les coûts, tant pour l’hébergement que l’alimentation, mais c’est un peu compliqué à mettre en place. Je bouge aussi pas mal pour faire connaître l’association et expliquer ses objectifs. J’ai d’ailleurs lancé un appel aux chefs de corps, de groupement, de légion, pour passer les voir avec un ou deux blessés et leur présenter les InvaincuS.
Quel est aujourd’hui le principal message que vous souhaitez faire passer à travers vos opérations, que ce soit à destination des blessés, mais aussi des valides, si l’on peut dire ?
Encore une fois, le message que nous voulons véhiculer aux armées, comme aux associations et aux structures œuvrant pour les blessés, c’est le caractère essentiel de cette fraternité, c’est ce qui fait la force des armées. Il faut s’unir et aller ensemble dans le même sens, celui des blessés. Nous sommes d’ailleurs tout à fait ouverts à une collaboration avec d’autres associations. C’est un domaine où la concurrence entre les différents acteurs ne pourrait se concevoir. D’ailleurs, nous ne demandons aucune adhésion aux blessés, comme aux sympathisants, et les stages sont entièrement gratuits.
Aux blessés, je voudrais dire qu’il y a des paliers quand on quitte le treillis. Pendant un temps, on ne sait plus trop où se situer. J’aurais voulu être militaire toute ma vie, mais il en a été autrement. Je me définissais en tant que tel, et en quittant l’uniforme, souvent c’est comme si on était dépouillé de nos valeurs. Mais nos valeurs n’ont pas besoin d’uniforme pour exister, elles sont au fond de nous. Être militaire, c’est plus qu’un statut, c’est un état d’esprit, un comportement, des attitudes. La discipline, le patriotisme, la camaraderie, tout ça ne disparaît pas. Et on peut continuer de les appliquer pour aider les autres.