« Garde-à-vous ! » Les stagiaires de Beynes restent statiques. Ils ont voulu intégrer le corps de la gendarmerie le plus proche des ors de la République : la garde républicaine. Arriver à la formation est déjà un parcours du combattant. Près d’une centaine au départ, ils termineront à 79 à la fin des 15 jours. Simples civils, ils ont découvert la vie militaire au sein du camp et du peloton. Récit d’une motivation presque sans faille.

Étudiants, jeunes professionnels, personnes en recherche d’emploi ou salariés : leurs profils sont très variés. L’engagement dans la réserve se décide généralement par un élan de jeunesse ; la moyenne d’âge des stagiaires est de 25 ans. Certains, face aux nombreuses autres demandes et à la pandémie, ont attendu ce moment plusieurs années. Erwann A. a dû patienter presque trois ans entre son premier contact et le jour de rentrée.

Ce vendredi, à 7 heures, la beauté de la nature au camp militaire de Beynes (78) accueille la compagnie et permet d’oublier un instant les bâtiments vieillissants. Tandis que les gendarmes orientent les nouvelles recrues, la motivation, « l’envie » comme le décrit le commandant de la compagnie, est palpable dès leur intégration. Pour arriver ici, ils ont dû franchir de nombreuses barrières : la pré-sélection sur dossier, les entretiens, les méandres administratifs, le test psycho-technique, les tests médicaux et physiques, les mails, les coups de téléphone multiples, les essayages d’uniforme, une dizaine d’heures de formation en ligne, le test PCR… À l’issue de ces différentes étapes, la gendarmerie forme enfin ses futurs réservistes.

« Une école de vie » qui rassemble divers profils

Ils viennent découvrir les bases du métier de gendarme et intégrer « une école de vie », comme la décrit Louis M. En 2020, beaucoup ont eu un déclic. Pauline D., consultante en cybersécurité dans le civil, se confie : « Rester à la maison sans bouger et voir dehors la galère… J’ai voulu soulager le corps social en fonction de mes compétences. » Jonathan S. y voit une bonne occupation pendant le confinement. Pour certains, c’est aussi une manière d’apprivoiser leur potentiel et futur métier. C’est le cas de Grégoire M., Parisien et étudiant en Histoire, qui s’imagine bien officier de gendarmerie, comme son père. Ce métier, qu’il connaît bien, aurait du sens pour lui au vu de l’état de la société.

Il y a aussi ceux qui considèrent la réserve comme un « service militaire continu ». Après l’essayage de l’uniforme, l’installation des affaires dans les chambres, la Préparation militaire gendarmerie (PMG) commence. Cette formation intensive initie les futurs réservistes aux bases de l’action d’un gendarme, qu’il soit de la gendarmerie mobile, départementale ou de la garde républicaine. Venus de toute l’Île-de-France, ils se forment pour servir dans les trois régiments de la Garde (deux d’infanterie et un de cavalerie). Au bout d’une semaine, la fatigue se fait sentir. Les connaissances à maîtriser s’accumulent : des dizaines d’articles de loi, les multiples acronymes et sigles, les gestes, les réflexes, les codes militaires… La concentration est constante et maximale. Sur le terrain, ils n’auront pas le temps d’hésiter.

Apprentissage de la militarité

Civils jusqu’ici, ils doivent s’appliquer, pendant quinze jours, à répondre aux exigences militaires, en commençant par la tenue : rangers, treillis, calot, chemise, veste, jusqu’aux fermetures Éclair masquées… Docilement, ils suivent cette rigueur, encore plus visible à la Garde, qui permet l’unité et la formation du corps. Si un stagiaire n’a pas sa chemise verte, le reste de la compagnie masque son col de chemise sous la veste. L’uniforme est plus qu’un vêtement, il signifie un art collectif : uni-(par la)-forme. Un autre incontournable dans l’armée, auquel ils ne vont pas échapper : « faire leur lit ». A 5 h 30, le militaire ordonne son lit « en bataille », pliant les draps et les couvertures afin qu’ils soient prêts à être saisis si les ordres le demandent. Derrière l’efficacité et l’aspect pratique de ce type de rituel, se cache toujours l’enjeu de l’esthétique et de la rapidité. L’uniforme doit être beau, comme le lit, comme le rang, comme le geste. C’est ce qui attire Loïc V., étudiant en sciences politiques. Néanmoins, la seconde étape s’agissant du lit est des plus frustrantes, puisqu’au lieu d’y faire une sieste après le déjeuner, le militaire doit le refaire au carré en quelques minutes avant le rassemblement.

Une discipline à toute épreuve

Un gendarme connaît le cadre légal, les techniques d’intervention, son arme, sa hiérarchie, les déplacements et les codes militaires… Mais il sait aussi chanter. L’élève-chant entonne la première phrase pour donner le ton au reste du peloton ou de la compagnie. Il est impressionnant de voir comment, tout en donnant la cadence du pas, chanter fait prendre corps visuellement à la compagnie.

Pourtant, peu à peu, quelques-uns abandonnent la PMG pour diverses raisons : une motivation à rebours, le rythme trop soutenu, un problème de santé… C’est le cas de Thémis E., qui s’est blessée pendant une marche. Le lendemain, elle part avec les larmes aux yeux et la ferme envie de revenir cet été, remise sur pied. La clé du métier tient notamment au mental : malgré le froid, la souffrance, le manque de sommeil, la faim, ou l’erreur, l’esprit permet au corps de tenir et de continuer sa mission. Dans une société qui recherche le confort, la vie en camp militaire impose une ascèse pour être opérationnel sur le terrain, en toutes circonstances. Un sous-lieutenant de réserve leur confie une devise qui permet de tenir : « Toujours pour l’autre, jamais pour soi. » Après un renfort dans le cadre de la mission Poséidon à Calais, il donne près de trois semaines de son temps pour former les futurs réservistes.

Rester exemplaire

L’objectif des formateurs est de s’assurer de la motivation des stagiaires à être au service de la population. Pour cela, ils tentent de faire émerger la cohésion, « de transmettre le savoir et de veiller à la qualité des gestes professionnels. » Le réserviste adopte aussi l’attitude militaire : au pas ou au repos, les mains ne sont jamais dans les poches. Les chefs et autres militaires présents sur le camp montrent l’exemple à suivre. Les jeunes recrues découvrent également certaines unités spécifiques qui se croisent régulièrement à Beynes, comme le fameux GIGN et les équipes cynophiles, et servent de plastrons à l’occasion des entraînements. En milieu de PMG, le second vendredi, la compagnie observe une minute de silence pour Stéphanie Monfermé (fonctionnaire de police assassinée à Rambouillet en avril). Cet hommage a aussi une vertu pédagogique pour les stagiaires. Porter l’uniforme est un honneur, mais transforme le réserviste, comme le militaire d’active, en cible potentielle. « Même en faisant attention, on prend des risques », rappelle un lieutenant.

Pendant cette quinzaine, il n’y a aucune permission ou jour de repos. Cette autarcie favorise aussi l’esprit de corps, qui se traduit par un précepte de camaraderie : ne jamais laisser un camarade seul, comme l’explique le commandant. Cela commence dès les couloirs des dortoirs, pour se poursuivre sur le terrain. Un chef le leur rappelle en plein exercice : « Mais là, si vous n’êtes pas capables de travailler ensemble, qu’est-ce qui nous dit que sur le terrain, vous allez y arriver ? C’est ça que vous êtes venus chercher : la cohésion, la camaraderie. » La solidarité inter-pelotons s’installe dans les missions et surtout dans les difficultés.

Allier le corps et l’esprit

« En haut ! / Vie de château. En bas ! / J’aime ça. Au milieu ! / C’est mieux ! » Les pompes rythment les journées. Les corps, malgré les aménagements COVID, ont été bien sollicités pendant cette PMG, mais la forme physique reste indispensable dans l’action du réserviste. La « marche aux passants » est aussi une étape importante, pendant laquelle les corps s’habituent, de nuit, à mesurer différemment les dangers. En pleine préparation des sacs pour cette marche de nuit, un chef prévient : « Il fera froid à 5 heures du matin, prenez vos doudounes ! » Une autre leçon pour le groupe : se tenir toujours prêt, de jour comme de nuit, et pour cela, il s’agit d’anticiper, car « être à l’heure, c’est déjà être en retard. » Pour beaucoup, la marche aux Passants sera, en réalité, le meilleur souvenir de cette PMG. Louis M. le résume ainsi : « un moment exceptionnel qui nous permet de nous dépasser et de se faire confiance. »

À côté de la préparation physique, les stagiaires doivent aussi suivre de nombreuses matières académiques : les premiers secours, le code de la circulation routière, les transmissions radio, la Maîtrise sans arme de l’adversaire (MSAA), la Maîtrise avec arme de l’adversaire (MAAA), les tactiques d’intervention, les contrôles d’identité, le menottage, les palpations, les fouilles, etc. Une formation complète qui les prépare au mieux aux missions dans lesquelles ils seront engagés d’ici quelques semaines.

Y a-t-il encore des héros dans notre société contemporaine ? En sortant de la PMG, la réponse est quasi-affirmative. Il existe encore des êtres qui chantent à pleins poumons : « Nous sommes fiers d’appartenir à ceux qui vont souffrir. » Leur générosité en touche plus d’un et nombre d’entre eux sont encouragés par leurs proches dans cette démarche. Certes, ils ne sont pas d’active, mais ils s’engagent au service des autres en tant que citoyen. Une nouvelle génération de réservistes est prête à servir, « Rompez les rangs ! »

Source: gendinfo.fr