Tous les ans, plusieurs milliers de migrants arrivent en France en étant mineurs (ou en se déclarant mineurs) sans être accompagnés d’aucun membre de leur famille. Pour eux, commence alors un parcours où interviennent associations, collectivités territoriales et institutions judiciaires. Mais, cette prise en charge est-elle suffisante ?

Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef)(nouvelle fenêtre) : « en 2021, 36,5 millions de filles et de garçons sont en mouvement à travers le monde, le plus grand nombre jamais enregistré depuis la seconde guerre mondiale ».

Ces dernières années, la France a vu le nombre de mineurs non accompagnés (MNA) présents sur son territoire fortement augmenter. La « Mission mineurs non accompagnés » du ministère de la justice publie annuellement dans son rapport d’activité(nouvelle fenêtre) le nombre de personnes déclarées MNA (jusqu’en 2013, année de création de la mission, il n’existait pas de données statistiques officielles relatives au nombre de MNA).

Quel droit applicable pour ces enfants ?

Un mineur non accompagné (MNA) est un enfant de moins de 18 ans, de nationalité étrangère, présent sur le territoire français sans être accompagné d’un adulte (titulaire de l’autorité parentale ou représentant légal).

Auparavant appelés « mineurs isolés étrangers » (MIE), on parle désormais de « mineurs non accompagnés » (MNA) conformément à la terminologie du droit européen apparue dans la résolution du 26 juin 1997 du Conseil de l’Europe(nouvelle fenêtre).

Selon l‘article L411-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile(nouvelle fenêtre) (CESEDA), les mineurs étrangers ne sont pas dans l’obligation de posséder un titre de séjour pour vivre en France.

Les MNA sont avant tout des enfants et doivent donc bénéficier de l’ensemble des droits prévus par la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). En vertu du principe de non-discrimination (article 2 de la CIDE), les mineurs étrangers présents en France ont les mêmes droits que les mineurs de nationalité française.

Le code de l’action sociale et des familles (CASF) mentionne :

  • à l’article L111-2(nouvelle fenêtre), que « Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : 1° des prestations d’aide sociale à l’enfance«  ;
  • à l’article L112-3(nouvelle fenêtre), que « La protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge ».

Une prise en charge gérée par l’aide sociale à l’enfance (ASE)

Dans le cadre de la protection de l’enfance, la prise en charge des MNA relève des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) mis en place par les départements.

Quand une personne se présente comme mineure et privée de la protection de sa famille, le service de l’ASE doit organiser un accueil provisoire d’urgence (également appelé « mise à l’abri« ) de cinq jours maximum (article L223-2 du CASF(nouvelle fenêtre)). L’accueil provisoire de cinq jours doit permettre d’évaluer la minorité et l’isolement familial.

Cette évaluation prévue à l’article R221-11 du CASF a aussi fait l’objet de la publication d’un arrêté daté du 17 novembre 2016(nouvelle fenêtre) qui en définit toutes les modalités. Elle est composée d’une évaluation sociale à caractère pluridisciplinaire menée par les services du département ou par une structure du secteur public ou du secteur associatif à laquelle cette mission a été déléguée.

Elle prend la forme d’entretiens menés par des professionnels ayant une formation ou une expérience leur permettant de disposer de connaissances relatives :

  • aux parcours migratoires et à la géopolitique des pays d’origine ;
  • à la psychologie de l’enfant ;
  • au droit des mineurs.

Ces entretiens doivent au moins aborder les six points suivants :

  • la situation personnelle, le pays et la région d’origine, l’état civil (la présomption d’authenticité est appliquée aux actes de l’état civil émanant d’une administration étrangère) ;
  • la composition familiale dans le pays d’origine (identité et âge des parents et membres de la fratrie), le maintien des liens avec sa famille depuis son arrivée en France, la présence de membres de la famille en France ou en Europe ;
  • les conditions de vie dans le pays d’origine (contexte géopolitique de la région d’origine, situation économique et localisation actuelle de la famille, niveau de scolarité ou de formation) ;
  • les motifs de départ du pays d’origine et la présentation du parcours migratoire ;
  • les conditions de vie depuis l’arrivée en France ;
  • les projets en termes de scolarité et de demande d’asile.

L’évaluateur transmet le rapport d’évaluation et son avis motivé quant à la minorité ou à la majorité et au caractère d’isolement familial ou non au président du conseil départemental. Si des doutes subsistent quant à l’âge, il l’indique dans son rapport. Le président du conseil départemental peut :

  • transmettre aux services chargés de la lutte contre la fraude documentaire les documents d’identification produits par la personne évaluée, s’il estime qu’ils pourraient être irréguliers, falsifiés ou que des faits qui y sont déclarés pourraient ne pas correspondre à la réalité ;
  • saisir la justice pour procéder à des examens radiologiques osseux prévus à l’article 388 du code civil(nouvelle fenêtre).

Les tests osseux

Pratiqués depuis des dizaines d’années afin de déterminer l’âge des MNA, les tests osseux font polémique. Les examens consistent à radiographier de face la main et le poignet gauche et à examiner les points d’ossification des doigts et les cartilages de croissance. Les radiographies sont ensuite comparées à des planches d’images réalisées dans les années 1930 et 1940 à partir d’une population d’enfants américains (l’atlas de Greulich et Pyle), selon des tranches de six mois à un an.

Cette méthode et sa fiabilité sont remises en question par de nombreuses instances nationales :

  • d’un point de vue éthique, comme l’a signalé le Comité consultatif national d’éthique dans un avis rendu en 2005 : « La finalité initiale de ces radiographies n’a jamais été juridique mais purement médicale […] l’utilisation qui en est faite par la transformation d’une donnée collective et relative à une finalité médicale en une vérité singulière à finalité juridique ne peut être que très préoccupante » ;
  • d’un point de vue scientifique, cette méthode est imprécise, surtout pour les jeunes âgés de 16 à 18 ans comme l’a rapporté l’Académie nationale de médecine en 2007.

Un avis du Haut conseil de la santé publique a conclu en 2014 qu’il n’y avait pas de (nouvelles) données scientifiques permettant de déterminer avec précision et fiabilité l’âge d’un individu.

Le Défenseur des droits plaide régulièrement pour l’interdiction des tests osseux comme dans son rapport de février 2022 entièrement dédié à la question des MNA intitulé Les mineurs non accompagnés au regard du droit ou encore dans le cadre du rapport annuel 2022 sur la vie privée des enfants.

Toutefois, l’article 43 de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant a inscrit les examens radiologiques osseux à l’article 388 du code civil.

L’article énonce les conditions dans lesquelles ces examens peuvent être pratiqués : « Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé« .

Il en précise la portée : « Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Le doute profite à l’intéressé« .

Il proscrit par ailleurs l’examen du développement pubertaire : « En cas de doute sur la minorité de l’intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires ».

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions conformes à la Constitution dans sa décision du 21 mars 2019(nouvelle fenêtre), estimant que le législateur a prévu des garanties suffisantes.

Au terme du délai de cinq jours de la phase administrative, le président du conseil départemental doit saisir le procureur de la République (c’est le début de la phase de protection judiciaire) :

  • si la minorité ou l’isolement du jeune ne sont pas reconnus, une décision de refus de prise en charge lui est notifiée. Il est informé sur les droits reconnus aux personnes majeures en matière d’hébergement d’urgence, d’aide médicale, de demande d’asile ou de titre de séjour ;
  • si le jeune est évalué mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, le procureur de la République ou le juge des enfants peuvent prendre une ordonnance provisoire de placement (article 375-5 du code civil(nouvelle fenêtre)). L’accueil provisoire est alors prolongé jusqu’à ce que l’autorité judiciaire ait rendu sa décision. Le mineur peut par la suite être confié, à l’ASE ou à un tiers (article 373-3 du code civil(nouvelle fenêtre)). Un mécanisme de répartition géographique peut orienter le mineur vers l’ASE d’un département différent de celui de l’accueil initial.

Passage à la majorité

À leur majorité les MNA doivent solliciter un droit au séjour en faisant une demande de titre de séjour(nouvelle fenêtre) pour rester sur le territoire français.

Un mineur confié à l’ASE (ou à un tiers digne de confiance) au plus tard le jour de ses 16 ans peut demander une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » d’une durée d’un an.

Un mineur confié à l’ASE (ou à un tiers digne de confiance) entre l’âge de 16 ans et l’âge de 18 ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, peut demander une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire« .

Le CESEDA précise que ces cartes sont délivrées : « sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui […] a été prescrite, de la nature des liens de l’étranger avec sa famille restée dans son pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ».

Seuls les MNA admis à l’ASE avant l’âge de 15 ans, acquièrent automatiquement la nationalité française à leur majorité.

Hébergement, scolarisation, précarité… de nombreux défis à relever encore

La prise en charge déficiente des mineurs non accompagnés a été pointée dans plusieurs rapports ces dernières années.

Un rapport de mission sur les MNA datant de 2018 et deux rapports du Sénat, l’un en 2017, rapport d’information sur la prise en charge sociale des mineurs non accompagnés, et l’autre en 2021 (rapport d’information sur les mineurs non accompagnés), dressent un même constat : face à l’afflux de migrants se présentant comme MNA, on assiste à une saturation du dispositif de mise à l’abri.

« La période d’évaluation et de mise à l’abri cristallise une grande partie des difficultés constatées« .

Les département ont majoritairement recours à l’hébergement en hôtel pour la mise à l’abri : « l’hébergement hôtelier est souvent marqué par un faible contrôle de la qualité des lieux d’accueil, un accompagnement très limité ainsi qu’une perception négative de leurs conditions de vie par les jeunes concernés ». Certains jeunes ne bénéficient d’aucune mise à l’abri.

« La sollicitation massive des équipes d’évaluation conduit à un allongement du recueil provisoire d’urgence bien au-delà du délai de cinq jours prévu par le CASF. Ainsi, selon les estimations de l’Assemblée des départements de France (ADF), la durée moyenne d’évaluation était de 40 jours en novembre 2017. Du fait de cet allongement, les dépenses réelles de départements sont très supérieures au remboursement forfaitaire versé par l’État. »

Les sénateurs plaident pour le transfert à l’État de l’évaluation et de la mise à l’abri.

Selon les sénateurs, la procédure judiciaire pose aussi problème : « Sur l’ensemble du territoire, on peut constater un manque de cohérence de la politique conduite par les différents acteurs. La multiplicité des instances susceptibles d’être saisies – procureur de la République, juge des enfants, juge administratif – engendre une multitude de procédures parallèles, qui conduisent à la prise de décisions contradictoires ».

Par ailleurs, la scolarisation des mineurs de moins de 16 ans est obligatoire et les mineurs de plus de 16 ans bénéficient du droit à la scolarisation (article L111-1 du code de l’éducation(nouvelle fenêtre)). Or, les démarches en vue de la scolarisation de ces jeunes ne sont souvent entamées qu’une fois la phase d’évaluation finie et la mesure de placement auprès de l’ASE définitivement confirmée par la justice. Au vu des délais parfois très longs, cela peut retarder la scolarisation des jeunes de plusieurs mois.

La fin de la prise en charge par l’ASE est aussi insuffisamment anticipée. En sortant de la minorité, les jeunes basculent dans la précarité et se retrouvent au cœur de problématiques liées à la qualification professionnelle, l’insertion sur le marché du travail et l’obtention d’un titre de séjour.

La question de la délinquance de certains mineurs

Dans la note du 5 septembre 2018 relative à la situation des mineurs non accompagnés faisant l’objet de poursuites pénales(nouvelle fenêtre), le ministère de la justice établit un profil de ces mineurs : « Il s’agit principalement de jeunes garçons en errance. La plupart de ces jeunes sont déjà en difficulté dans leur pays d’origine, en rupture avec leur famille. Ils sont exploités par des réseaux pour commettre des volsimpliqués dans le trafic de stupéfiants mais sont également consommateurs de ces produits. Ils sont souvent victimes de traite des êtres humains et parfois repérés à l’occasion de délits de subsistance.
Ces mineurs se trouvent pour l’essentiel dans les grandes métropoles notamment Paris, Marseille, Montpellier, Lille, Lyon, Nantes et Rennes. Ces jeunes, avec lesquels il est parfois plus complexe de tisser un lien, ne sont ni pris en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse, ni par les conseils départementaux. Certains présentent une santé dégradée par leur vécu et leur parcours, tant sur le plan somatique que psychique. »

Selon le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur les mineurs non accompagnés en date de mars 2021, les « MNA délinquants » représentent environ 10% de l’ensemble des MNA et se caractérisent par un refus de toute prise en charge. Ils ont souvent été victimes de réseaux de traite et sont polytoxicomanes. Le rapport souligne à la fois les insuffisances de la prise en charge sociale de ces mineurs mais aussi une réponse pénale souvent inadaptée.

Toutefois, d’après le rapport d’information du Sénat sur les mineurs non accompagnés de septembre 2021, il convient de bien distinguer la délinquance des « jeunes en errance » (jeunes étrangers exploités par des réseaux) de celle des MNA pris en charge par l’ASE : « les jeunes délinquants en errance présentent un profil sociologique distinct des MNA pris en charge par l’ASE. Les jeunes en errance délinquants sont plus âgés en moyenne que les MNA pris en charge par l’ASE, avec une proportion importante de jeunes en réalité majeurs, et proviennent principalement des pays d’Afrique du Nord alors que la majorité des jeunes pris en charge par l’ASE est issue de l’Afrique sub-saharienne. Surtout, ces jeunes délinquants ne sont le plus souvent pas pris en charge par l’ASE et ne s’inscrivent pas dans un parcours d’insertion. »
Comme le précise le rapport sénatorial, les MNA pris en charge par l’ASE faisant l’objet de mesures pénales représentent 15% des MNA à Paris, et entre 5% et 10% des MNA sur l’ensemble du territoire.

Source: vie-publique.fr