La construction de réserves ou de retenues de substitution en eau (ou « méga-bassines ») pour irriguer les cultures suscite une forte opposition. Qu’est-ce qu’une réserve de substitution ? Est-ce une solution face à la sécheresse ? Le point en sept questions.

Il s’agit d’un ouvrage artificiel, en règle générale construit en plainedestiné à stocker l’eau prélevée l’hiver pour irriguer les cultures en période de sécheresse.

L’eau de ces bassins est puisée dans les nappes phréatiques ou les cours d’eau (rivières) entre novembre et mars pour remplacer les prélèvements l’été : c’est le principe de substitution.

Plastifiés et imperméables, entourés de digues de plusieurs mètres de haut, ces ouvrages s’étendent en moyenne sur une superficie de huit hectares et peuvent couvrir jusqu’à 18 hectares. Apparues dans les années 1990, les réserves d’eau se multiplient : une centaine de projets en France, notamment dans les Deux-Sèvres, la Vienne et la Vendée. Si elle s’intègre dans un projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), la construction d’une retenue de substitution peut être subventionnée par les agences de l’eau

Les différentes retenues d’eau (barrages, plan d’eau, retenues collinaires, méga-bassines…) ont un même objectif : stocker l’eau pour l’utiliser en fonction des besoins.

Les barrages retiennent une quantité d’eau destinée à différents usages (alimentation en eau potable, irrigation, notamment). Ils sont construits soit en travers d’un cours d’eau (le plus souvent) ou en dehors (un cours d’eau est alors dérivé pour l’alimenter). Il existe différents types de barrage classés selon la hauteur de l’ouvrage et le volume d’eau retenu.

Les retenues collinaires sont alimentées, le plus souvent, par le ruissellement. Les « petites » retenues » d’eau individuelles utilisées par les agriculteurs captent l’eau des sources et cours d’eau. Elles se sont multipliées dans les zones où l’eau se fait rare, notamment en Ardèche.

Contrairement aux retenues de substitution, les barrages et les retenues collinaires ne remplacent pas un prélèvement estival.

Toutes ces structures ont des conséquences sur la population, la biodiversité et un impact sur le milieu aquatique (impacts sur le cycle hydrologique en réduisant les apports à la rivière, sur la qualité physico-chimique de l’eau) selon les études de l’Office français de la biodiversité. Les retenues situées hors des lits mineurs des cours d’eau et les retenues collinaires ont cependant peu ou pas d’incidence sur la continuité écologique des cours d’eau.

Selon le rapport du Sénat sur l’avenir de l’eau, l’irrigation des terres agricoles ne représente qu’environ 10% des prélèvements d’eau. Dans le même temps, l’agriculture représente les deux tiers de la consommation totale d’eau car l’eau prélevée par les plantes n’est pas restituée localement.

Environ 20% des exploitations agricoles sont équipées d’un système d’irrigation et 5% de la surface agricole utile (SAU), soit 1,5 million d’hectares, est irriguée. La pratique de l’irrigation n’est pas uniforme sur le territoire, elle varie en fonction du climat, de la nature des sols, des types de cultures et de la facilité d’accès à la ressource. Ainsi, 15% des surfaces sont irriguées dans le Sud, l’Ouest, l’Alsace et la Beauce mais seulement 1% des surfaces dans le Nord et dans l’Est. 60% des surfaces irriguées concernent des productions de maïs (30% des surfaces de maïs sont irriguées).

La consommation d’eau pour les besoins de l’irrigation agricole est concentrée durant les mois d’été.

Le rapport souligne que « les progrès techniques de l’irrigation depuis le début des années 1990 ont conduit en 30 ans à une réduction de plus d’un tiers de le consommation d’eau pour l’irrigation agricole, à production constante, en passant de l’aspersion à la micro-aspersion puis au goutte à goutte. Cette modernisation des techniques d’irrigation n’est d’ailleurs pas achevée. Il existe donc encore des marges de manoeuvre pour des améliorations techniques. »

Les retenues d’eau sont soumises au régime juridique des installations, ouvrages, travaux ou activités (IOTA) prévu par le code de l’environnement. Elles font l’objet de déclaration ou d’autorisation auprès du préfet (articles R214-1 à R214-56 du code de l’environnement) délivrée après enquête publique suivant les dangers et la gravité des opérations sur l’eau et les milieux aquatiques. La procédure à suivre dépend de plusieurs critères, notamment :

  • la superficie du plan d’eau : l’autorisation est obligatoire pour un plan d’eau supérieur à trois hectares ;
  • le lieu du prélèvement : dans une zone de répartition des eaux (ZRE), l’autorisation est exigée à partir de 8 m3/heure ;
  • la méthode de prélèvement de l’eau : sondage, forage, dérivation, etc. ;
  • la situation de la retenue : installée dans un lit mineur de cours d’eau, par exemple, elle est un obstacle à l’écoulement des crues et nécessite une autorisation du préfet.

Les opposants aux méga-bassines dénoncent un « accaparement » de l’eau des nappes souterraines pour « maintenir un modèle agro-industriel dévastateur. » Ils estiment que ces retenues d’eau « servent essentiellement à alimenter des productions très gourmandes en eau (maïs), majoritairement destiné à l’élevage industriel, au détriment de solutions locales et paysannes« .

Il est reproché aux méga-bassines d’altérer la qualité de l’eau. L’eau des nappes phréatiques reste fraîche et de bonne qualité, mais une fois stockée en surface, l’eau se réchauffe, s’évapore, les algues et les bactéries se développent.

Sera-t-il possible de remplir ces méga-bassines dans les prochaines décennies alors que la sécheresse est déjà une réalité et que les hivers ne sont pas toujours pluvieux ? Les seuils de remplissage des réserves ne tiennent pas compte de la disponibilité en eau mais uniquement des besoins à satisfaire, reprochent les opposants.

Certains scientifiques expriment leur crainte sur les effets à long terme des retenues. Florence Habets, directrice de recherche au CNRS en hydrométéorologie, souligne « les effets pervers des barrages et réservoirs en cas de sécheresses longues« . Les bassins incitent à consommer plus d’eau et augmentent la durée des sécheresses.

Les opposants soulignent par ailleurs que ces réserves conduisent à une iniquité entre les agriculteurs irrigants et les autres.

Le projet de réserves dans les Deux-Sèvres

En 2017, un arrêté préfectoral autorisait la construction de 19 réserves de substitution dans le secteur de la Sèvre Niortaise et Mignon (Nouvelle Aquitaine).

Après un mouvement d’opposition à l’arrêté du préfet, un accord entre les acteurs locaux est conclu le 18 décembre 2018. L’accord modifie le projet initial en s’appuyant sur l’expertise du CGAAER et le CGEDD : irrigation réduite, réexamen des retenues en fonction de leur impact, développement d’une agriculture durable, notamment. Le nombre de réserves est ramené à 16. Le volume global d’eau destiné à l’irrigation est fixé à 12,7 millions m3. À la suite d’un recours, le tribunal administratif a jugé les volumes de prélèvements trop élevés en mai 2021. Les recours se sont ensuite succédé.

Les simulations du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) mesurant l’impact des réserves sur les nappes souterraines et les rivières ont conclu en juillet 2022 à un « impact positif ». Cette expertise a été contestée par les « anti-bassines ». Les opposants, jugeant certains engagements de l’accord non respectés poursuivent la contestation. Trois recours sont actuellement devant le tribunal administratif.

Les opposants prônent un changement de modèle vers une agriculture qui apporterait des « rendements suffisants tout en respectant le milieu à un coût raisonnable ».

À cette fin, ils suggèrent d’accompagner les agriculteurs vers l’agroécologie et l’agroforesterie qui comprend, notamment :

Dans le rapport « Changement climatique, eau, agriculture. Quelles trajectoires d’ici 2050 ?« , le CGEDD et le CGAAER considèrent que les réserves de substitution sont « le mode de sécurisation de la ressource en eau le plus satisfaisant« . Les PTGE constituent un cadre pour combiner sécurisation de la ressource, économies d’eau et évolution des pratiques agricoles.

Par exemple, dans le cas précis du projet des Deux-Sèvres, les réserves de substitution ont « un impact négligeable » sur les nappes souterraines et le débit des cours d’eau, selon une évaluation du BRGM du projet de construction dans les Deux -sèvres publiée en juillet 2022. Selon le rapport, le projet permettrait « une amélioration globale du niveau des nappes en printemps-été » et une augmentation du débit des cours d’eau (+5% à + 6%).

Les promoteurs des réserves de substitution soulignent que les bassins sont remplis en prélevant dans la nappe uniquement quand elle déborde. L’administration utilise des capteurs pour mesurer le seuil de remplissage des nappes. Le pompage a lieu lorsque le niveau de la nappe dépasse un certain seuil et que son excédent se déverse dans les cours d’eau.

La chambre d’agriculture des Deux-Sèvres répond aux arguments des opposants en publiant des données chiffrées sur le bassin de la Sèvre Niortaise Marais-Poitevin qui montrent notamment :

  • une baisse de 60% des volumes d’eau prélevés l’été en 20 ans (2005-2025) ;
  • une diminution des surfaces de maïs irrigué remplacé par des céréales d’hiver arrosées au printemps et par des cultures qui demandent moins d’eau (protéines végétales, semences, par exemple) ;
  • une irrigation sécurisée par les réserves qui est un puissant levier pour la conversion vers l’agriculture biologique.

Par ailleurs, depuis le décret sur la gestion quantitative de la ressource en dehors de la période de basses eaux publié le 30 juillet 2022, il est possible d’évaluer les volumes qui pourraient être disponibles dans le respect du bon fonctionnement des milieux en période de hautes eaux.

Les conclusions du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique du 1er février 2022, ont prévu plusieurs mesures, notamment :

  • mobilisation des retenues existantes pour optimiser les usages, notamment agricole, dans la gestion des retenues hydroélectriques ;
  • optimisation des ouvrages existants : un inventaire des retenues d’eau et un suivi des stocks ;
  • sélection d’une dizaine de territoires pilotes pour explorer les voies de remobilisation des volumes stockés non-utilisés ;
  • aide aux agriculteurs pour le financement d’outils d’aide à la décision en matière d’irrigation et de lutte contre la sécheresse.

Source: vie-publique.fr