Depuis 1953, la Gendarmerie des transports aériens (GTA) agit pour la sûreté et la sécurité de l’aviation civile, sur le territoire métropolitain et outre-mer. Elle contribue ainsi à la sécurité des quelque 150 millions de passagers qui transitent chaque année par les emprises aéroportuaires. À l’occasion des 70 ans de cette gendarmerie spécialisée, le colonel Philippe Mirabaud, à sa tête depuis l’été 2022, revient sur son évolution, en phase avec celles de l’aviation civile et des menaces, sur ses missions actuelles et, enfin, sur les enjeux à venir. Entretien.

Mon colonel, la GTA (Gendarmerie des Transports Aériens) célèbre cette année ses 70 ans d’existence. Pouvez-vous nous retracer les grandes étapes de l’histoire de cette gendarmerie spécialisée ?

Comme le rappelle l’arrêté de 2006, la GTA reste une gendarmerie spécialisée, placée pour emploi auprès du Directeur général de l’aviation civile (DGAC), ce qui en fait une entité à part, même au sein des gendarmeries spécialisées, puisqu’elle est la seule à ne pas être placée auprès des armées.

Cette formation est née au début de l’essor de l’aviation commerciale et a véritablement grandi avec elle, puisqu’elle a vu le jour en 1953, peu après l’ancêtre de la DGAC. Elle en a suivi toutes les évolutions : du développement des aéroports à celui du transport de personnes en passant par les aéro-clubs.

Je noterais trois temps forts. Le premier, des années 50 aux années 90, où la GTA a surtout eu une mission de protection des aéroports et des aéronefs, déployant alors une forte présence sur ces emprises. Ce qui explique d’ailleurs la part importante, encore aujourd’hui, de Gendarmes adjoints volontaires (GAV) – qui ont succédé aux gendarmes auxiliaires – dans nos rangs. Ils représentent en effet 30 % des effectifs de la GTA, l’un des plus forts taux de la gendarmerie.

Cela représente un challenge particulier, parce qu’au tournant des années 2000, après les attentats sur les vecteurs aériens et les nouvelles mesures de sûreté qui en ont découlé, nous sommes passés d’un effort de présence et de visibilité à une exigence d’expertise. Dès lors, les services compétents de l’État, comme la GTA, vont donc avoir pour mission de surveiller, non plus les emprises, mais bien la mise en œuvre des procédures de sûreté dans les aéroports, désormais assurées par des agents privés de sûreté. Cela exige finalement de tenir moins de postes de contrôles physiques, mais en revanche beaucoup plus de sens de l’initiative, de connaissances de la réglementation et donc, in fine, d’expertise et de technicité. Cette tendance se retrouve sur le volet accidentologie, qui reste l’autre grand pilier historique de la GTA. C’est d’ailleurs au tournant des années 2000, après le crash du Concorde, que l’on a créé la Section de recherches des transports aériens (SRTA).

Le dernier tournant se situe, à mon sens, autour de 2015, avec un risque terroriste très fort, impliquant la nécessité de mieux protéger encore les aéroports et le secteur aérien, et se traduisant, pour la GTA, par le début d’une phase de durcissement, avec la mise en place de PSIG (Pelotons de Surveillance et d’Intervention de Gendarmerie) Sabre sur les principaux aéroports, le développement de l’activité des tireurs d’élite, ou encore de la composante de Lutte anti-drone (LAD). Et ce, tout en poursuivant bien sûr notre exigence d’expertise.

Comment décririez-vous la GTA d’aujourd’hui, tant dans son organisation, son maillage que ses missions ?

La GTA de 2023, c’est un millier de personnels, militaires et civils, auxquels s’ajoutent 200 réservistes. Elle est présente sur trente aéroports en métropole et huit en outre-mer, et assure également la protection de quatre centres en route de la navigation aérienne. Maie elle reste avant tout une gendarmerie, avec une logique d’ancrage territorial forte, puisque chaque unité, à partir de son lieu d’implantation, va rayonner sur l’ensemble des terrains d’aviation de sa circonscription, laquelle peut être parfois très vaste. Certaines brigades de GTA couvrent en effet jusqu’à cinq ou six départements et peuvent être amenées à connaître entre 100 et 150 terrains d’aviation. Ce qui implique de s’assurer d’avoir les bons contacts sur place et de passer très régulièrement, selon un rythme adapté à l’activité aérienne et au risque. L’important est d’avoir un regard permanent sur l’ensemble de ces plateformes. Voilà pour notre implantation territoriale !

Alors qu’est-ce qu’un gendarme des transports aériens aujourd’hui ? C’est d’abord un opérationnel expert de la sûreté et de la sécurité de l’aviation civile. Pour résumer, la sûreté, c’est faire en sorte qu’il n’y ait pas d’introduction d’objets illicites dans un avion. Pour les passagers, cela se traduit par le contrôle d’accès et l’inspection filtrage ; pour nous, il s’agit, au travers du contrôle des entreprises privées, de s’assurer que toutes les règles prévues à cet effet sont bien mises en œuvre. De manière générale, la police aux frontières assure cette mission « côté ville », jusqu’à la salle d’embarquement, ce que l’on appelle le circuit passager, quand la GTA est compétente « côté piste ». Il y a toutefois quelques exceptions, comme à Brest et à Montpellier, où la GTA opère sur l’ensemble de l’aéroport.

La sécurité, en revanche, c’est prévenir la survenue d’incidents en vol au niveau des avions. Cela passe par le respect des règles de navigation, comme les hauteurs de survol quand il y en a, et bien évidemment par les investigations en cas d’accident.

Ce sont des domaines qui demandent une grande technicité, mais aussi une grande autonomie et un grand sens de l’initiative, car il y a peu d’appels au 17 et donc peu d’interventions au sens classique. C’est donc au gendarme d’aller chercher le contrôle, d’être curieux, « d’aller vers »…

Sur de nombreux points, la gendarmerie des transports aériens n’est donc pas si différente de la gendarmerie départementale ?

Outre la culture du maillage territorial que j’ai évoquée, à mon sens, la GTA partage en effet avec la gendarmerie départementale l’ADN de la proximité et de « l’aller vers », s’agissant de tous les acteurs et partenaires de l’écosystème aérien : les autorités de l’aviation civile, le directeur et les équipes d’exploitation des aéroports, les différentes entreprises qui y travaillent, celles qui sont dans la zone aéroportuaire, jusqu’aux aéro-clubs.

Et puis, dans sa manière d’agir au quotidien, le gendarme des transports aériens, comme tout gendarme départemental, va s’appuyer au maximum sur sa polyvalence, c’est-à-dire sa capacité à articuler action administrative et action judiciaire, à la seule différence qu’il dispose peut-être de plus d’outils d’action administrative.

Cela implique donc de très bien connaître à la fois la réglementation en matière d’aviation civile et le Code pénal. Par exemple, pour effectuer un transport commercial de passagers, il faut être une compagnie et détenir un Certificat de transporteur aérien (CTA). Mais certaines personnes peuvent être tentées de vendre des vols sans détenir ce CTA, et donc sans être formellement une compagnie. Cela constitue une infraction du point de vue judiciaire, que l’on appelle le Transport public illicite (TPI). Mais cela correspond également à un manquement en matière de respect des règles de l’aviation civile. Certaines enquêtes portant sur du TPI vont donc conduire à des convocations devant un tribunal judiciaire, tandis que d’autres vont plutôt donner lieu à des sanctions administratives prises par l’aviation civile.

L’activité judiciaire de la GTA présente également des similitudes avec celle de la G.D., puisque, outre l’accidentologie, elle porte également sur une délinquance plus classique…

Effectivement. Il ne faut pas oublier que nous sommes gendarmes et que beaucoup sont officiers de police judiciaire. Nous sommes aussi là pour lutter contre la criminalité organisée, qu’elle transite par les aéroports, qu’elle y sévisse ou qu’elle soit en lien avec l’aérien. Cela passe par la lutte contre tous les types de trafics organisés via le secteur aérien, mais également contre des infractions en lien avec l’organisation des compagnies aériennes. J’évoquais le transport public illicite, mais cela peut être du travail illégal, etc. Les mêmes principes de subsidiarité et de montée en puissance propres à la gendarmerie s’appliquent, avec les brigades de GTA en premier rideau, puis les deux brigades de recherches au niveau des deux groupements, jusqu’à la SRTA sur le haut du spectre. Cette dernière possède d’ailleurs, depuis les années 2015, époque du durcissement de la GTA, un Groupe d’observation surveillance (GOS), qui est très sollicité par d’autres sections de recherches, au regard de sa capacité à faire des observations et des filatures dans le milieu aéroportuaire, notamment dans les grands aéroports parisiens, parfois jusqu’en province, où elles sont reprises par les unités locales.

Les domaines de compétence de la GTA demandent donc des connaissances et des technicités très spécifiques…

Comme je l’ai évoqué, la GTA intervient dans un environnement particulier et très exigeant techniquement. Cela demande donc un effort de formation important, qui représentait 17 % de notre activité en 2022. C’est vrai pour l’aspect sûreté et réglementation de l’aviation civile, mais aussi en matière d’investigation sur les accidents d’avion.

Nos gendarmes ont besoin d’être formés pour comprendre ce que sont les principes de vol, les principaux instruments, où l’on peut obtenir les informations techniques qui vont permettre de comprendre la phase de préparation du vol, son déroulement et potentiellement les circonstances de l’accident. Chaque brigade de GTA doit être en capacité de constater un accident d’aéronef lié à l’aviation certifiée, la SRTA étant engagée sur les accidents complexes ou sensibles en termes d’ampleur ou de sensibilité. Cela nécessite de maintenir des connaissances professionnelles importantes, avec une pratique qui reste – heureusement – assez limitée.

Le monde de l’aérien a aussi ses règles propres, comme celles de la culture juste. En matière de sécurité aérienne, la priorité est de déceler les incidents et donc d’encourager leur signalement. Par conséquent, le non-respect de la norme ne vaut pas toujours sanction, à partir du moment où l’on profite de cet incident pour effectuer une remise à niveau ou faire évoluer le cadre.

Pour parvenir à nous insérer dans un milieu qui a une très grande homogénéité de culture et de valeurs, il faut donc que l’on comprenne les gens de l’aérien, et pour cela, que nous soyons curieux et ouverts. Nous essayons donc de former nos gendarmes pour faire en sorte de les rapprocher de cette culture. C’est pour cette raison que nous les encourageons par exemple à passer la licence de pilote privé, et ce, grâce au financement de la DGAC. Aujourd’hui, nous comptons 52 pilotes privés et une vingtaine en formation. Nous faisons également passer le brevet d’initiation à l’aéronautique, que nous avons adapté pour nos besoins, afin que les gendarmes qui arrivent au sein de la GTA comprennent très rapidement le fonctionnement d’un avion, les grands points à connaître sur la navigation aérienne et puissent s’immerger très rapidement dans ce milieu.

Quelles sont aujourd’hui vos priorités opérationnelles ?

Nous avons quatre grandes priorités. La sûreté, qui représente un tiers de notre activité, reste bien évidemment notre fonds de commerce. Mais dans ce domaine, nous devons avoir une approche encore plus qualitative, en allant au-delà du contrôle du respect de la norme, pour tendre vers une meilleure identification des vulnérabilités et une orientation des contrôles. C’est un véritable changement de philosophie d’approche.

Concernant la police aéronautique, nous continuons à insister sur une présence visible et régulière sur les terrains secondaires, qui connaissent une activité forte, la France restant un pays d’aéronautique.

Notre troisième axe d’effort, c’est l’activité de police judiciaire, que nous devons continuer d’accentuer, pour lutter contre la criminalité organisée, notamment sur les plateformes les plus importantes.

Enfin, le quatrième pilier de cet édifice, c’est la protection des aéroports contre les menaces quelles qu’elles soient, particulièrement celles en développement. Bien évidemment, nous portons une attention toute particulière sur la lutte contre le terrorisme, mais il faut aussi prendre en compte le risque d’intrusion d’activistes, ainsi que la menace drone, qui peut être très diverse. Ce sont par exemple les menaces Manpads, c’est-à-dire les armes sol-air. À ce titre, nous contribuons au programme piloté en interministériel, de protection des plateformes.

Par ailleurs, en 2023 et 2024, la GTA, à l’instar de toutes les unités de gendarmerie, sera bien évidemment concernée par l’organisation de grands événements sur notre territoire…

Nous avons en effet trois grands événements en préparation. Tout d’abord le salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, en juin prochain, qui n’a pas eu lieu depuis 2019, au regard de la crise Covid. Il s’agira de prendre en compte la sécurisation de la zone côté piste, sachant que l’armée de l’Air et de l’Espace mettra en place un dispositif particulier de sûreté aérienne et que la police nationale s’occupera de la zone côté ville. Il faudra donc bien se coordonner et identifier les menaces particulières.

Viendra ensuite la coupe du Monde de rugby, en septembre-octobre prochain, et bien sûr les J.O. de Paris en 2024, où, paradoxalement, il semblerait que la période la plus tendue pour les aéroports se situera dans les jours suivant la clôture, qui seront marqués par un départ massif et concentré des sportifs, des délégations et des spectateurs, tandis que les arrivées seront sans doute plus perlées. Des règles différentes devraient s’appliquer à ce moment-là, notamment sur le traitement des bagages et celui des flux spécifiques ou inhabituels de passagers, que nous devrons accompagner à la fois en termes de sûreté et comme facilitateur de cette organisation.

Se posera également la question de la menace venant du ciel. Bien évidemment, l’armée de l’Air et de l’Espace sera en première ligne au titre de ses fonctions de la sûreté aérienne. Pour nous, cela entraînera la permanence d’un dispositif spécifique de lutte anti-drone sur les grandes plateformes, comme Orly, Roissy ou Le Bourget, et une présence accentuée sur les aérodromes secondaires, situés dans un certain rayon autour de Paris, Marseille, etc., afin de contrôler leur activité et éviter qu’ils ne soient le point de départ d’une action terroriste.

Cela impliquera certainement des bascules de forces entre les unités de province et les unités parisiennes. Tout cela est en train d’être préparé. Nous avons un groupe de planification qui y travaille. Ce sera forcément une période particulière, comme pour toute la gendarmerie, mais dans notre zone de compétence.

Enfin, en regardant vers l’avenir, quels sont les enjeux auxquels il faut se préparer à moyen-long termes, tant sur le plan opérationnel que matériel ?

Je pense d’abord à la multiplication du nombre de drones, qui impliquera de plus en plus de réglementations. Il faut aussi pouvoir protéger le déroulement des grands événements, des différentes manifestations… Au sein de la gendarmerie, c’est le rôle de la Section de protection appui drone (SPAD) de la garde républicaine, qui est le référent national, et avec laquelle on travaille. La mission de la GTA est principalement de contribuer à la protection des aéroports, mais nous sommes également en mesure de répondre, en fonction de nos effectifs, aux sollicitations de la gendarmerie départementale en matière de lutte anti-drone. Nous avons par ailleurs pris la direction du programme dit « info drone », un système qui permet de récupérer le signal électronique que chaque drone de plus de 800 grammes doit désormais émettre, et qui est donc un outil de détection important de tous les drones dits collaboratifs.

Je pense aussi aux nouveaux modes de transport, comme les taxis volants, qui devraient être expérimentés au moment des J.O. Bien sûr, nous ne sommes pas en première ligne aujourd’hui, mais en termes de sécurité, d’intervention, de compréhension des règles mises en place, c’est une évolution à suivre.

Il faudra aussi prendre en compte la transformation à venir des plateformes aéroportuaires, avec les nouveaux modes liés à la décarbonisation de l’aviation. Je ne sais pas encore quel sera l’impact sur les missions de la GTA, mais il faudra là aussi suivre ce sujet.

Une autre priorité sur laquelle insiste beaucoup le DGAC concerne le contrôle du respect des mesures environnementales en matière de réduction des nuisances, comme la limitation du temps des moteurs auxiliaires quand les avions sont au sol, les hauteurs de survol réglementées, par exemple autour de Chambord ou sur la presqu’île de Saint-Tropez, les utilisations des hélisurfaces, en termes de nombre de décollages et d’atterrissages par jour ou de respect d’une pause méridienne, ou encore le respect des couvre-feux sur les aéroports, etc.

Nous contrôlons un certain nombre de ces mesures, contribuant ainsi à la protection environnementale et à la transition énergétique. Ce qui me fait d’ailleurs dire que près de la moitié de la flotte de véhicules de la GTA pourrait être électrifiée, particulièrement pour la part d’activité des unités sur leur plateforme d’implantation.

Pour en revenir à cette année anniversaire, comment allez-vous fêter ces 70 ans ?

Pour célébrer les 70 ans de la GTA, ou les 70 ans du compagnonnage avec la DGAC, nous avons commencé par créer une rondache spécifique, par le biais d’un concours remporté par un réserviste. Nous organisons aussi un challenge sportif, qui a débuté ici même le 31 mars 2023, avec l’idée de courir 8 000 km, c’est-à-dire la distance symbolique reliant chacune des brigades de GTA de métropole. Inclure l’outre-mer aurait représenté bien trop de kilomètres ! Cet événement a une vocation de cohésion interne : l’objectif est de courir ou faire de la marche sportive ensemble. La première étape nous a permis de relier nos deux directions, le départ ayant été salué par le DGAC et l’arrivée par le DGGN, avant de faire le premier lien vers une brigade de GTA, celle d’Issy-les-Moulineaux.

Nous avons également monté une exposition photos mettant en lumière les femmes et les hommes de la GTA, afin de valoriser leurs métiers et leurs expertises. Elle est inaugurée au siège de la DGAC, à Issy-les-Moulineaux, ce mercredi 24 mai, avant d’être présentée dans les différents sites régionaux de l’aviation civile, illustrant par ce biais l’histoire commune et les liens forts entre les deux Institutions. Elle sera également exposée sur le site de la DGGN courant juin.

Source: gendinfo.fr