En 2022, 72 000 hectares ont brûlé en France. Fin mai 2023, plus de 20 000 hectares avaient déjà brûlé. Le 2 juin 2023, le président de la République a annoncé un plan pour mieux prévenir et combattre les feux de forêt. Vie-publique.fr fait le point sur ce risque et la stratégie française de lutte contre les incendies.

Le facteur humain est prépondérant dans le déclenchement des 3 000 à 4 000 incendies qui embrasent les forêts en France tous les ans (rapport de la mission conjointe de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie du Sénat, août 2022) :

  • 9 feux sur 10 sont d’origine humaine (chantiers de BTP, activités agricoles, câbles électriques, mégots de cigarettes, barbecues, incendies de véhicules…) ;
  • 7 feux sur 10 sont dus à l’imprudence humaine.

À titre de comparaison, en Amérique du Nord, 4 feux sur 10 sont d’origine naturelle (par exemple, impacts de foudre sur de l’humus).

Une augmentation des facteurs de risque ces dernières décennies expose plus largement le territoire national aux incendies, en dépit de l’efficacité de la doctrine française de lutte contre les incendies. Les facteurs de risque les plus importants sont :

  • la dégradation des conditions météorologiques :
    • la fréquence des vagues de chaleur a été multipliée par quatre depuis les années 1980, avec une hausse de 0,4°C observée par décennie,
    • 15% de la surface du territoire est affectée aujourd’hui par la sécheresse (contre 5% dans les années 1970). Près de 40% de ce même territoire présentent des conditions météorologiques propices aux incendies, avec une hausse du nombre de jours marqués par ces conditions ;
  • une augmentation du combustible en forêt :
    • en 30 ans, le volume sur pied de la biomasse forestière a progressé de 50%, passant de 1,8 milliard à 2,8 milliards de mètres cubes,
    • deux tiers de la forêt en France ne sont pas couverts par un plan simple de gestion (PSG), obligatoire pour les propriétaires privés à partir de 25 hectares de forêt et malgré les incitations. La fréquence de coupe est deux fois plus élevée dans les parcelles dotées d’un PSG ;
  • la dégradation de l’état sanitaire des forêts (pullulation de pathogènes et de ravageurs). Les crises sanitaires génèrent une biomasse combustible sèche. En 20 ans, la mortalité est passée de 3 millions à 9 millions de mètres cubes par an ;
  • un phénomène de déprise agricole :
    • l’abandon subi ou décidé de terres agricoles se fait au profit de friches ou d’accrues forestières,
    • le pastoralisme, en déclin, permettait une discontinuité végétale et la réduction du combustible,
    • le déclin numérique des métiers ruraux et la dévitalisation rurale ont un impact non négligeable. Par exemple, l’arrêt du gemmage (récolte de la sève) implique un arrêt du contrôle de la végétation au sol (fougères) qu’assuraient les résiniers.
  • La surface forestière brûlée a diminué au cours des dernières décennies en moyenne annuelle :

    • 1980-1989, 42 360 hectares ;
    • 1990-1999, 22 720 hectares ;
    • 2000-2009, 19 680 hectares ;
    • 2015-2019, 7 570 hectares.

    La France doit toutefois se préparer à une évolution défavorable du risque dans un contexte de réchauffement climatique et d’augmentation du combustible en forêt.

    L’année 2022, marquée par de nombreux feux de forêt dévastateurs, est hors normes  :

    • 72 000 hectares de surface brûlée (forêts, espaces naturels, cultures) ;
    • 19 711 incendies enregistrés ;
    • 90 départements ayant comptabilisé un événement significatif ;
    • 8 600 largages effectués par les 19 bombardiers d’eau (contre 3 600 en 2021).

    La région méditerranéenne, dans le périmètre couvert par le système Prométhée, concentre depuis les années 1980 les trois quarts des surfaces boisées brûlées. La proportion varie selon les années mais reste en général supérieure aux deux tiers.

    En dehors de la zone Prométhée, le massif forestier des Landes de Gascogne est le premier territoire touché par les incendies de forêt :

    • 10% des surfaces brûlées ;
    • 20% des feux.

    Toutefois, le nombre annuel d’incendies de forêt en France connaît une baisse notable depuis quelques décennies :

    • 5 252 feux en moyenne annuelle de 1980 à 1999 ;
    • 2 671 feux en moyenne annuelle de 2015 à 2019.

    Une stratégie d’attaque massive des feux naissants a fait ses preuves en France depuis les années 1980, selon le rapport du Sénat précité. Le nombre de feux de surfaces boisées a connu un recul tendanciel, lié aux évolutions de la politique française de défense des forêts. Ces évolutions suivent les grands incendies de la fin des années 1980 et de l’année 2003.

    La doctrine d’attaque rapide des feux naissants est inscrite dans le Guide de stratégie générale de protection de la forêt, publié en 1994 par la Direction de la sécurité civile, et réaffirmée par la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile. Cette doctrine s’appuie sur un équilibre entre :

    • prévention, afin d’empêcher les départs de feu ou en maîtriser l’éclosion, au stade initial ;
    • lutte immédiate, massive et dynamique, dans les dix premières minutes, afin de limiter le développement des feux. Un feu doit avoir parcouru moins d’1 hectare lorsque les premiers intervenants commencent à le combattre (stratégie de lutte contre les feux de forêt en France).

    La doctrine d’attaque rapide des feux naissants s’oppose à la « culture du feu libre« , appliquée au Canada, en Australie ou aux États-Unis. Dans ces pays, des zones de peuplement très concentrées alternent avec de vastes espaces naturels inhabités.

    D’après le rapport du Sénat, la stratégie française a grandement contribué à la baisse du nombre de feux et de surfaces incendiées. En Aquitaine et en zone méditerranéenne, les régions les plus exposées au risque d’incendie, le taux d’extinction des feux naissants est supérieur à 80%. Selon les chiffres de la sécurité civile pour 202195% des feux de forêt sont éteints avant qu’ils n’aient détruit 5 hectares.

    Cette doctrine française du traitement des incendies s’appuie aussi sur une coordination opérationnelle très forte et des moyens humains et matériels de grande qualité.

    L’efficacité de la stratégie de lutte en France doit, selon le rapport du Sénat, renforcer :

    • l’anticipation, au travers de l’élaboration d’une stratégie nationale interministérielle qui articule prévention et sécurité civile, tout en appréciant l’évolution du risque ;
    • l’aménagement du territoire et plus particulièrement la régulation de l’interface forêt/zones urbaines afin de réduire les départs de feux ;
    • la gestion durable de la forêt et sa valorisation au niveau du massif ;
    • la mobilisation du monde agricole ;
    • la sensibilisation des usagers, entre communication et répression ;
    • la lutte contre les incendies (financement et équipement) ;
    • le reboisement après l’incendie.

    La stratégie de lutte contre les incendies repose sur la mobilisation des acteurs suivants :

    • sapeurs-pompiers des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) ;
    • personnels de l’Office national des forêts (ONF) ;
    • Météo-France ;
    • associations régionales de défense de la forêt contre les incendies (ARDFCI) ;
    • comités communaux des feux de forêt ;
    • militaires de la sécurité civile ;
    • avions bombardiers d’eau effectuant des missions de guet aérien armé (GAAR).

    Au 31 décembre 2021, la sécurité civile comptait 252 700 sapeurs-pompiers (statistiques pour 2021), dont :

    • 41 800 sapeurs-pompiers professionnels (17%) ;
    • 197 800 sapeurs-pompiers volontaires (78%) ;
    • 13 200 militaires (5%).

    L’une des recommandations du rapport du Sénat est d’atteindre la cible de 250 000 sapeurs-pompiers volontaires (SPV) d’ici à 2027, effectifs dont bénéficiait la France dans les années 1990.

    Parmi les explications à cette baisse, on peut avancer le manque de reconnaissance face à une activité bénévole et dangereuse, l’augmentation des sollicitations opérationnelles, mais aussi le frein à l’emploi dans l’entreprise que constitue le statut de SPV (loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs‑pompiers, dite « Matras »). La loi « Matras » de 2021 est dotée de dispositions visant à conforter l’engagement et le volontariat.

    Les armées françaises, dans le cadre de l’opération Héphaïstos, lancée en 1984, luttent chaque été contre les feux de forêt de grande ampleur. Héphaïstos a concerné 23 départements du Sud en 2022.

    Le rapport sénatorial suggère de revenir sur les 500 suppressions de postes prévues à l’ONF d’ici à 2025 dans le cadre du contrat État-ONF 2021-2025 afin :

    • de rétablir les postes d’agents de protection de la forêt méditerranéenne (APFM) supprimés ces dernières années ;
    • de redéployer plus de postes sur l’expertise de défense des forêts contre les incendies (DFCI) hors région méditerranéenne ;
    • d’étendre le périmètre géographique de la DFCI à l’ensemble du territoire national.

    Le dispositif de lutte 2023

    Le dispositif de lutte contre les feux de forêt pour 2023 est renforcé par rapport à 2022 « pour faire face à l’évolution du risque en lien avec le dérèglement climatique » :

    • moyens terrestres (+11% de personnels de la sécurité civile) :
      • 3 300 sapeurs-pompiers spécialisés, soit 46 colonnes,
      • 360 militaires de sécurité civile, soit 5 colonnes ;
    • moyens aériens :
      • 12 Canadair et 9 Dash (bombardiers d’eau),
      • 3 Beechcraft (mission de reconnaissance et de transport),
      • 10 hélicoptères,
      • 4 Air Tractor,
      • 9 moyens aériens des SDIS ;
    • protocole Héphaïstos (jusqu’à 150 militaires) :
      • 3 unités d’appui,
      • 4 sections à pied.

    Le réchauffement climatique, combiné à l’évolution du combustible en forêt, aura en France des manifestations très concrètes sur les feux de forêt :

    • intensification : augmentation des surfaces brûlées de 80% d’ici à 2050 ;
    • extension géographique : près de 50% des landes et forêts métropolitaines concernées par un risque incendie élevé en 2050 ;
    • extension temporelle : période à risque trois fois plus longue (de juin à octobre) et multiplication des feux hivernaux ou printaniers ;
    • multiplication des incendies de végétation ou de terres agricoles, y compris dans les espaces péri-urbains.

    Le réchauffement climatique signifie une multiplication des feux hors normes. Trois des plus grands incendies ayant touché la France ces 40 dernières années se sont déclenchés en 2021 et 2022. Le modèle français de lutte contre les incendies sera insuffisant face à l’émergence de feux hors normes.

    Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) alerte, dans son sixième rapport d’évaluation, sur une hausse de la probabilité de « feux de forêt de portée catastrophique » comprise entre 30% et 60% d’ici à la fin du siècle.

    Les feux hors normes posent des problèmes de santé publique. Une augmentation des syndromes de stress post-traumatique et de dépression a été relevée à la suite des mégafeux australiens (entre 2019 et 2020). Ces syndromes peuvent être attribués aux décès, mais aussi à une forme d’éco-anxiété.

    Le rapport du Sénat révèle que les particules dégagées par les incendies de forêt dans l’ouest des États-Unis, en 2020, pourraient avoir fragilisé le système respiratoire de la population et ainsi contribué à l’augmentation des contaminations au Covid-19.

    Les coûts socio-économiques liés aux incendies de forêt sont jusqu’à présent relativement contenus en France. Ces coûts sont amenés à s’accroître fortement dans les années à venir.

    Une hiérarchie des enjeux à protéger est établie dans l’ordre d’opérations « feux de forêt » des services d’incendie et de secours. La priorité est donnée :

    1. aux personnes ;
    2. aux biens ;
    3. à l’environnement.

    Cette hiérarchisation se fait au profit des zones urbaines et concentre les pertes économiques liées aux incendies dans les espaces ruraux. La destruction d’habitations reste rare grâce au débroussaillement.

    Sur le plan socio-économique, les premières victimes d’incendies de forêt sont les propriétaires forestiers (particuliers, collectivités territoriales, État). À la perte de capital économique s’ajoute l’obligation de reboiser. Le rapport du Sénat souligne ainsi que les propriétaires non assurés subissent une « double peine« .

    La filière bois est moins touchée qu’on ne pourrait le supposer, pour plusieurs raisons :

    • les massifs touchés par les incendies sont des forêts non productives ou faiblement productives ;
    • les surfaces incendiées, en forte baisse sur les 40 dernières années, sont très inférieures à celles touchées par des tempêtes ;
    • les parcelles brûlées peuvent en partie continuer de jouer un rôle d’approvisionnement (broyage, bois-énergie, papeterie, bois d’œuvre).

    Jusqu’à présent, les conséquences économiques des incendies de forêt en France se traduisent moins par des destructions à proprement parler que par des :

    • activités économiques empêchées ;
    • externalités négatives ;
    • pertes de bien-être.

    Toutefois, en cas de feux simultanés comme en Gironde à l’été 2022, les coûts socio-économiques et environnementaux peuvent s’accroître de façon exponentielle.

    Le rapport du Sénat préconise de mieux prendre en compte la « valeur du sauvé » afin de calibrer les moyens de prévention et de lutte contre l’incendie. Par exemple, la valeur moyenne sauvée par les pompiers des Bouches-du-Rhône est en moyenne de 7,3 millions d’euros par incendie.

    Les dommages écologiques sont mal identifiés et peu quantifiés, entre autres dans les territoires où la forêt est économiquement peu valorisée et où son principal atout est écologique, comme dans la zone méditerranéenne.

    L’atteinte portée au « patrimoine visuel » peut se doubler d’une pression sur les écosystèmes. Le rapport du Sénat rappelle que 45% des surfaces brûlées en Europe et en Afrique du Nord en 2021 étaient situées sur des sites Natura 2000.

    La dégradation de la qualité de l’eau et de l’air par les fumées et les cendres est encore mal estimée (en particulier les pics d’émission nocifs).

    Les coûts humains, élevés au niveau mondial, restent limités en France, bien que trop nombreux (deux morts en 2021, un sapeur-pompier volontaire décédé en 2022).

    Source: vie-publique.fr