L’ampleur exceptionnelle des feux de forêts en 2022 a relancé les débats sur la sauvegarde des forêts en France. Face notamment aux effets du changement climatique, la forêt est confrontée à différents types de problèmes. Pourtant, la forêt tient une place centrale dans la sauvegarde de l’environnement.

Plaine, littoral, montagnes, les forêts en France métropolitaine couvrent 31% du territoire. Entre 1850 et 2023, le taux de boisement a doublé. Elle représente 17,3 millions d’hectares d’une centaine d’espèces d’arbre. Mais la forêt n’a pas toujours été celle d’aujourd’hui. Au cours de l’histoire, la population a déboisé ou replanté, détruit ou protégé selon ses besoins (terres cultivables, pâturage, chauffage, industrie…) et sa conception de la forêt. Si les Romains préféraient la ville, symbole de civilisation, à la silva sauvage, la noblesse des XVIIe et XVIIIe siècles protégeait leurs hautes futaies.

Un peu d’histoire

L’évolution historique des forêts françaises n’est pas linéaire. On peut néanmoins distinguer trois grandes étapes selon Martine Chalvet (Une histoire de la forêt) :
•    Moyen-Âge : grands déboisements (le bois est une ressource utilisée dans tous les domaines de la vie) et début de la gestion administrative des forêts (ordonnances royales de planification des coupes et création des Eaux et forêts) ;
•    De la fin du XVe siècle au XIXe siècle : accroissement de la valeur économique du bois (l’ordonnance de Colbert en 1669 réorganise la gestion des forêts pour fournir le bois à la Marine et le code forestier en 1827 donne une nouvelle dimension environnementale de la gestion forestière) ;
•    De la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours : grandes campagnes de reboisement en 1860, 1864 et 1882, lois de restauration des terrains en montagne (RTM) et sur le littoral Atlantique, « devoir national » de reboisement d’après-guerre en 1946, création de l’Office national des forêts (1965-1966) et gestion durable des forêts (à partir des années 1990).

La forêt, au coeur de la sauvegarde de l’environnement

Comme le souligne l’Office national des forêts (ONF), la forêt a quatre fonctions : la production du bois, la protection de la biodiversité, l’accueil du public (loisirs) et la protection contre les risques naturels (chute d’eau, avalanches, etc.).

La forêt contribue à la sauvegarde de l’environnement de plusieurs façons :

  • elle atténue le changement climatique en stockant le carbone dans le bois (« puits de carbone« ), la forêt française absorbe 63 millions de tonnes de CO2 chaque année, ce qui permet de compenser 20% des émissions de CO2 (1m3 de bois stocke 1 tonne de CO2) ;
  • elle fournit une ressource durable et une énergie renouvelable, le bois permet des constructions bas carbone et des produits écologiques ;
  • elle préserve la biodiversité en accueillant 190 essences d’arbres, (essentiellement le chêne, le hêtre et le pin) et de nombreuses espèces animales et végétales (75% de l’ensemble des espèces vivantes) dont 120 espèces d’oiseaux et 30 000 espèces de champignons ;
  • elle joue un rôle important dans le cycle de l’eau par l’évapotranspiration des arbres, elle filtre l’eau et permet le captage d’eau potable, elle rafraîchit l’air, protège la qualité et la rétention des sols contre les inondations, avalanches, chutes de blocs et glissements de terrain, notamment ;
  • elle dévie le vent au-dessus des arbres, diminuant leur violence pour les cultures qui ont alors un meilleur rendement.

Pour protéger l’environnement, la forêt doit être en bonne santé, pérenne et elle-même protégée des risques. Mais, aujourd’hui, elle est affaiblie.

Une pérennité menacée par le changement climatique

La changement climatique accélère la mortalité des arbres 

Dans son dernier inventaire forestier national (IFN) d’octobre 2023, l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) constate une mortalité en hausse de 80% en dix ans :  de 7,4 millions de mètres cube par an (Mm3/an) entre 2005 et 2013, cette mortalité est passée à 13,1 Mm3/an entre 2013 et 2021. Les crises se multiplient.

Après des feux de forêt « hors norme«  qui ont marqué l’année 2022 – 61 921 hectares brûlés contre 9 117 en moyenne entre 2006 à 2021 (sept fois plus) – c’est le dépérissement des arbres qui inquiète. Ralentissement de la croissance, accélération de la mortalité des arbres et augmentation des prélèvements, cette dégradation représente l’équivalent « du cumul des surfaces touchées par les incendies de ces 35 dernières années » souligne l’IFN, soit 670 000 hectares.

Depuis 2018, la France a connu des épisodes de chaleur et de sécheresse très intenses qui ont conduit à un affaiblissement des arbres. Plus de 300 000 hectares dépérissent, soit « environ 30 fois la superficie de Paris« , selon l’ONF. Les forêts proches des agglomérations sont menacées par « la concurrence de surface » (terrains constructibles, par exemple) et la pollution atmosphérique. Pollution qui affaiblit plus largement les capacités de réaction de la forêt pendant la sécheresse, par exemple.

Nuisibles et maladies progressent par ailleurs. En 2019, la sécheresse a rendu les arbres plus vulnérables aux agents pathogènes et aux insectes ravageurs, notamment les scolytes. Châtaigniers, frênes et épicéas sont les principales victimes d’une prolifération d’insectes agressifs et de nouveaux champignons.

Le « puits de carbone«  des forêts ralentit. L’IFN l’a évalué à 40 millions de tonnes de CO2 par an en moyenne entre 2013-2021, soit une baisse d’un tiers en une décennie.

Outre le réchauffement climatique, l’ONF désigne une autre menace : la présence des ongulés (cerfs, chevreuils, sangliers), qui ont augmenté rapidement depuis les années 1970. Plus de 50% des surfaces des forêts domaniales sont en situation de déséquilibre forêt-ongulés, souligne l’Office. Trop nombreux, ils empêchent le renouvellement des forêts en broutant les jeunes pousses et les espèces utiles pour le changement climatique, selon le gestionnaire public.

Pour l’Office, la  « moitié de la forêt française pourrait avoir changé de visage » d’ici 50 ans, toutes régions confondues. « Toutes les essences sont concernées, feuillus et résineux. Les premières touchées sont celles qui ont le plus besoin d’eau, comme le hêtre, essence emblématique de nos forêts », précise le directeur général par intérim en avril 2022. Il explique alors que l’ONF doit faire évoluer sa stratégie de gestion, avec ses partenaires notamment l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et la Fédération nationale des Communes forestières (FNCOFOR).

Mais, pour les associations, notamment, le danger vient aussi de l’industrialisation du bois et d’une gestion à court terme des forêts. Face aux risques qui pèsent sur les forêts, la gestion est-elle adaptée pour préparer la forêt aux risques environnementaux ?

Une gestion des forêts en crise

Le politique forestière relève de l’État. Les forêts sont gérées selon la stratégie de gestion durable et multifonctionnelle. Cette approche est basée sur la recherche d’un équilibre entre les enjeux, souvent opposés, à la fois économiques, écologiques et sociétaux. Le Programme national de la forêt et du bois (PNFB) 2016-2026  qui fixe les orientations de la politique forestière pour les forêts publiques et privées en France a pour objectifs :

  • l’augmentation des prélèvements de bois tout en assurant le renouvellement de la forêt ;
  • une réponse aux attentes des citoyens vis-à-vis de la forêt en les sensibilisant à ses enjeux ;
  • la préparation des forêts au changement climatique et l’atténuation de ses effets.

Forêt domaniale, forêt communale, forêt privée : comment s’y retrouver ?

Les forêts publiques regroupent les forêts domaniales (1,5 million d’hectares), qui appartiennent à l’État, et les autres forêts publiques (2,7 millions d’hectares), essentiellement communales, qui appartiennent aux collectivités locales.

Elles sont gérées par l’ONF selon les règles du régime forestier (code forestier) :

  • un plan de gestion de la forêt appelé « aménagement forestier » (avant la réalisation de toutes actions) ;
  • un programme annuel de travaux d’entretien et d’infrastructures en forêt ;
  • un programme annuel de coupes et la conservation du patrimoine.

Les forêts privées représentent 75% des forêts en métropole qui sont très morcelées (3,3 millions de propriétaires). Le Centre national de la propriété forestière (CFNP) est chargé d’orienter leur gestion, notamment en utilisant les documents de gestion durable (tout propriétaire de plus de 25 ha doit avoir un plan simple de gestion agréé).

Les missions de l’ONF s’étendent du régime forestier à la préservation de la biodiversité de la forêt, la surveillance des territoires ultra-marins et le suivi des écosystèmes. Sa gestion multifonctionnelle se traduit par :

Toutefois, certains acteurs, ONG, chercheurs, personnalités politiques, et jusque dans les rangs de l’ONF, dénoncent la pression croissante sur les forêts pour répondre à la demande des industriels. Produire du bois a toujours été la priorité dans les politiques forestières depuis les années 1960, au détriment des autres fonctions environnementales et sociales, soulignent les militants de l’environnement. Sylviculture intensive, coupes rases (abattage de tous les arbres d’une même parcelle), utilisation de pesticides, mais aussi plantations de résineux (le Douglas) aux dépens des arbres feuillus, les associations évoquent une « malforestation« . L’accélération de la monoculture de ce pin nord-américain a commencé après la tempête de 1999, pour reboiser les parcelles touchées. Mais ces plantations, si elles sont faciles à cultiver et présentent un meilleur rendement, rendent « l’écosystème moins durable face aux aléas climatiques ou sanitaires » (le feu s’y propage plus facilement et la présence d’une seule essence amenuise les chances de se relever d’une maladie, par exemple). Les ONG dénoncent des forêts gérées comme un potager : planter, laisser pousser, tout prélever à une certaine taille, nettoyer et replanter. Ils appellent à laisser la forêt « vieillir » et se régénérer naturellement.

Par ailleurs, les syndicats de l’ONF pointent une « gestion défaillante » et le risque de disparition du service public de la forêt (« usines à bois« ). L’établissement traverse depuis plusieurs années une crise sociale (réduction des effectifs), économique (un déficit important) et « de sens » (augmentation des missions des agents pour répondre à la multifonctionnalité des forêts, manque de moyens et souffrance au travail).

De même, les restructurations de l’ONF ont conduit à « une baisse continue et importante des effectifs« , reconnaît l’Office. Pourtant, « les compressions d’effectifs n’ont pas permis de réduire les déséquilibres financiers » selon un rapport de la sénatrice Anne-Catherine Loisier en juin 2019. Le document souligne que « l’augmentation des volumes de coupes n’a pas réussi à juguler la chute des recettes, ce qui s’explique par la faiblesse des cours du bois. » Le déficit de l’ONF s’élève à 79 millions d’euros en 2021. La rapporteure, qui souligne des « réussites incontestables » (une forêt publique de qualité, attractive et multifonctionnelle et la commercialisation de 35% du bois en France), estime que le modèle traditionnel de l’Office, « le bois paye la gestion forestière » a échoué. Et « les tensions financières, sociales et territoriales se sont aggravées. » Mais pour quelles raisons ? Pour des « facteurs exogènes comme les nouvelles charges de pension, l’effet de mesures catégorielles » mais aussi à cause de « la faiblesse des cours du bois« . Devant ce constat, le rapport préconise notamment de :

  • préserver le principe du régime forestier et de ses emplois ;
  • poursuivre la rationalisation des dépenses en opérant des arbitrages qui garantissent une forte présence des agents de l’ONF sur le terrain ;
  • éviter impérativement de faire peser la résorption des déficits sur les communes forestières ;
  • redéfinir les missions assignées à l’ONF et les moyens mis à sa disposition pour les remplir.

Plus récemment, un rapport du Sénat d’août 2022 sur les feux de forêt et de végétation préconise d’arrêter les suppressions de postes (perte de 50% de son personnel en 30 ans) et d’embaucher des forestiers et des pompiers. La plantation de nouveaux arbres et la prévention contre les incendies nécessitent des moyens humains et matériels supplémentaires pour entretenir la forêt (arbres morts et branches au sol peuvent vite s’enflammer).

Or, d’ici 2025, l’État prévoit 500 suppressions de postes à l’Office national des forêts (contrat État-ONF 2021-2025).

Un changement de modèle nécessaire

Face aux menaces qui pèsent sur la forêt, s’est posée la question de sa multifonctionnalité. Comment concilier la protection de l’environnement avec les enjeux économiques face à une demande croissante en produits issus du bois et en énergie renouvelable ?

En 2021, les autorités ont reconnu que l’objectif des politiques forestières est de « maximiser la production de bois« . La ministre chargée de la transition écologique annonçait un changement de modèle avec la fin de la priorité à la fonction de production sur les autres services environnementaux et « la nécessité de refonder notre politique forestière » qui doit être « au service du climat, de la biodiversité, du bien-être de nos concitoyens et de la bioéconomie. » Trois axes étaient retenus :
•    la lutte contre la déforestation importée ;
•    une gestion de la forêt française privilégiant le long terme, la résilience, l’adaptation et la multifonctionnalité ;
•    l’implication des territoires et des citoyens.

Cette nouvelle approche se trouve alors confortée par la nouvelle stratégie forestière européenne pour 2030 qui prévoit de renforcer la protection des forêts face aux effets du changement climatique, par une gestion plus respectueuse du climat et de la biodiversité menée « en synergie et avec le soutien à une bioéconomie forestière forte et durable. »

Le Conseil supérieur de la forêt et du bois a remis son rapport le 26 juillet 2023 pour préparer le plan national de renouvellement forestier. Face au dépérissement de plus d’un million d’hectares au cours de la prochaine décennie, le renouvellement « habituel » ne suffit pas, constate le Conseil. Pour adapter les forêts, le document propose un plan de 10 milliards d’euros d’investissements pour renouveler la superficie forestière sur 10 ans. Objectifs : stocker le carbone, sauvegarder la biodiversité et produire des matériaux et énergies renouvelables.

Les récentes politiques publiques de la forêt

Le rôle de la forêt dans l’environnement fait l’objet de nombreuses mesures ces dernières années, notamment:

Par ailleurs, les assises de la forêt et du bois (octobre 2021-mars 2022), qui ont réunis tous les acteurs concernés par le bois et la forêt (associations, chercheurs, forestiers, institutions, élus..) ont abouti à une feuille de route commune pour le long terme. Elle repose sur quatre piliers :
•    soutenir la recherche et l’analyse des données forestières (le défi de la connaissance) avec la création de l’Observatoire de la forêt en 2023 par exemple ;
•    pérenniser les financements pour le renouvellement forestier en reconstituant les forêts qui dépérissent et en les adaptant au changement climatique ;
•    investir massivement dans l’innovation et la compétitivité de l’industrie du bois (France Relance) ;
•    expérimenter une nouvelle gouvernance pour pérenniser le dialogue entre tous les acteurs par le biais de territoires pilotes.

Les conclusions de ces assises ont été saluées pour leur vision cohérente avec les priorités environnementales, notamment : le plan de protection des sols, le plan national d’action en faveur des vieilles forêts ou encore l’obligation de diversifier les plantations. Les associations regrettent néanmoins l’absence de réponses à d’autres questions urgentes tant sur l’usage des pesticides ou encore sur l’encadrement des coupes rases, en particulier.

Source: vie-publique.fr