Sous le regard du plus haut sommet d’Europe occidentale, Chamonix-Mont-Blanc voit régulièrement sa population théorique de 8 906 habitants (chiffre INSEE 2015) gonfler pour atteindre les 40 000 visiteurs par jour, et parfois plus du double lors de certains événements sportifs. Une fréquentation source de nombreuses interventions et de faits de délinquance, qui constituent l’activité quotidienne des militaires de la Compagnie de gendarmerie départementale. Reportage sous « le toit de l’Europe ».
Ceinte de montagnes culminant pour la plupart au-dessus des 4 000 mètres, dont le plus haut sommet d’Europe occidentale avec ses 4 805,59 mètres sous la toise, la ville de Chamonix-Mont-Blanc est une destination touristique très prisée, été comme hiver. On vient ici en provenance des quatre coins du globe, si celui-ci en avait, pour skier, randonner, escalader, dévaler en VTT, voler en parapente… Cet afflux de visiteurs, pour un séjour ou à la journée, est presque continu désormais, avec un léger creux en automne. Il est évidemment au cœur de l’activité et des préoccupations des militaires de la Compagnie de gendarmerie départementale (CGD) de Chamonix-Mont-Blanc, l’une des cinq compagnies du Groupement de gendarmerie départementale (GGD) de Haute-Savoie.
« C’est une petite compagnie, sur un territoire qui ne compte que quatorze communes, décrit son commandant depuis l’été 2021, le chef d’escadron (CEN) Vincent Favier. Quatorze élus avec lesquels on peut faire du sur-mesure, bien comprendre et prendre en compte leurs problématiques. C’est aussi la compagnie qui recense le moins de crimes et délits du département, avec un peu moins de 3 000 faits par an, dont un tiers sont commis pendant la période estivale. Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg, car c’est un territoire avec une forte dimension politique et une sensibilité particulière. » Pour preuve, les nombreuses visites officielles qui viennent remplir le planning des gendarmes. « J’en ai fait plus ici en un an que dans toute ma carrière », souligne le capitaine Sylvain Candaele, commandant adjoint de la compagnie, et 29 ans de service en gendarmerie.
Marathon, ski, escalade, trail, cyclisme… et jazz
« Cham’ » vit au rythme d’événements sportifs et culturels : coupe du Monde de ski en hiver, sur « la Verte des Houches », marathon du Mont-Blanc, fin juin, coupe du Monde d’escalade en juillet sur la place du Mont-Blanc, CosmoJazz Festival, créé par André Manoukian, fin juillet, avant le plus important de tous, l’Ultra trail du Mont-Blanc, fin août, quand la ville accueille alors près de 100 000 visiteurs ! Sans oublier le Tour de France cycliste qui passe régulièrement dans le coin, comme en 2023, avec pas moins de trois étapes. De nombreux temps forts qui génèrent des pics de fréquentation et qui constituent pour les gendarmes autant d’enjeux d’ordre public. Pour compléter le tableau : le téléphérique de l’Aiguille du Midi, première attraction touristique de la région Auvergne-Rhône-Alpes, avec sa plateforme à 3 842 mètres d’altitude pouvant accueillir jusqu’à 1 200 personnes.
Chamonix est donc, comme le résume le CEN Favier, « un carrefour de contradictions », avec une économie essentiellement tournée vers le tourisme, grâce à l’attrait du Mont-Blanc, et de nombreux professionnels qui en vivent, notamment les guides de haute montagne et les accompagnateurs de moyenne montagne. Mais cette économie est aussi source d’oppositions sur fond de préservation de cet environnement remarquable.
Symbole de cette dichotomie, le tunnel du Mont-Blanc, qui relie Chamonix-Mont-Blanc à Courmayeur, en Italie, et qui fait toujours, près de 60 ans après son inauguration, l’objet de contestations, liées notamment à la pollution et aux nuisances dues à la circulation des poids lourds. L’ouvrage se situe dans la zone de compétence des militaires du Peloton motorisé (P.Mo.) de Passy-Mont-Blanc, appuyés par les gendarmes de la Brigade territoriale autonome (BTA) de Chamonix-Mont-Blanc.
Offensifs sur le stup’
Pour répondre à ces enjeux de sécurité publique, la CGD de Chamonix-Mont-Blanc compte donc trois entités : les Communautés de brigades (CoB) de Megève et Sallanches et la BTA de Chamonix-Mont-Blanc, renforcées par un Peloton de surveillance et d’intervention de gendarmerie (PSIG), à Sallanches, et une Brigade de recherches (B.R.), à Chamonix.
Chef de la BTA, le major Bertrand Norois organise le service pour, explique-t-il, « tenir la vallée entre 8 heures et 23 heures, avec en permanence une patrouille en trinôme, soit pédestre, soit en véhicule, afin d’apporter une réponse très rapide aux sollicitations de la population. » Avec un délai d’intervention de 11 minutes en moyenne, cette présence sur le terrain montre toute son efficacité. « Les commerçants nous le disent : « On vous voit tout le temps ! » » La moitié des interventions des gendarmes ont lieu pendant les trois mois d’hiver, et la moitié de ces interventions en deuxième partie de nuit. « L’hiver, la population est plus jeune et plus festive, précise le major. L’été, elle est davantage sportive et familiale, et nous intervenons donc plus rarement la nuit. »
Si le territoire est assez préservé, en raison de son accès unique par voie routière, facilitant les opérations de contrôle, il subsiste une délinquance de moyenne intensité qui exige une surveillance constante. « Nous sommes très offensifs sur le trafic de stupéfiants, avec des patrouilles pour observer les comportements, des dispositifs de surveillance en civil et des dispositifs d’interpellation, complète le CEN Favier. Nous voulons aller vite : constater, interpeller, pour rayer un trafiquant de la carte. Bien sûr, un autre prendra sa place, et il faudra recommencer, mais il n’y a pas d’autre moyen. »
L’afflux de touristes crée en effet un marché, principalement celui de la cocaïne, qui attire des dealers en provenance notamment de la plaque parisienne ou de Marseille, qui s’installent pour quelques jours dans la vallée. Deux trafics ont ainsi été démantelés récemment par les militaires de la CGD, dont un très important entre Sallanches, Megève et le Rhône. Lors de l’opération de gendarmerie, conduite le 20 mai 2024, 25 kg de cannabis, 1 kg de cocaïne, 650 grammes d’ecstasy, seize véhicules, dont cinq volés, ainsi que des armes de guerre avaient été saisis. Les gendarmes de la compagnie ont aussi démantelé des réseaux impliqués dans des vols d’outils au préjudice d’artisans du BTP, opérant dans toute la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Que la montagne est belle… et dangereuse
Aux côtés de cette délinquance et des interventions quotidiennes, souvent sur fond d’alcoolémie, l’activité de la compagnie est aussi impactée par la nature environnante, belle, impressionnante… et dangereuse. Ainsi, bien que le secours en montagne soit une mission assurée par les gendarmes du Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) et de la Section aérienne de gendarmerie (SAG), il n’est pas rare que ceux de la compagnie soient sollicités en appui judiciaire, pour prendre les auditions, comme ce fut le cas, par exemple, dans la nuit du dimanche 4 au lundi 5 août 2024, lorsqu’une chute de séracs a provoqué une avalanche, emportant plusieurs cordées d’alpinistes au Mont-Blanc du Tacul. Quinze personnes ont été impliquées dans cet accident, qui a fait une victime française, deux disparus de nationalité allemande, ainsi que quatre blessés espagnols et suisses.
Cette nature ne constitue pas un risque uniquement pour les alpinistes, mais aussi pour la population au pied des monts, que les gendarmes doivent avoir en permanence à l’esprit. Inondations dues aux poches d’eau sous les glaciers, qui menacent de se déverser, éboulements de plus en plus fréquents, avalanches en hiver comme en été… « Les gens vivent avec cette culture du risque, note le CEN Favier, notamment depuis l’avalanche du 9 février 1999, qui avait fait douze morts dans le hameau de Montroc. » Les couloirs avalancheux les plus dangereux de France se situent ici, et la zone de souffle toucherait forcément les zones habitées. « Il est donc possible, à tout moment, que l’on doive évacuer des quartiers entiers, de manière préventive, ajoute le major Norois. Cela nécessite une collaboration très fine avec les services de la mairie, la police municipale, les experts, afin d’anticiper au maximum. Chacun connaît déjà son rôle. »
Car si les gendarmes de la CGD prennent rarement de l’altitude dans le cadre de leurs missions, difficile d’ignorer la montagne. Elle est là, partout où le regard se pose. « On voit le Mont-Blanc tous les matins, et c’est une chance », reconnaît volontiers le commandant de compagnie.