Après l’euro physique, l’euro électronique, l’euro comme moyen de paiement et comme réserve de valeur, voici l’euro numérique. Le projet de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Commission européenne de créer un euro numérique vise-t-il à la création d’une nouvelle monnaie? Vie-publique.fr fait le tour en six questions.

Particuliers, entreprises et organismes publics utilisent l’euro sous deux formes :

  • sa version physique : les billets et pièces émis par la Banque centrale européenne (BCE), qui constituent la monnaie fiduciaire ;
  • sa version électronique via les cartes de paiement ou les virements et règlements dans le cadre de l’espace unique de paiement en euros (SEPA).

Le projet d’euro numérique vise à créer une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) accessible à tous ceux qui ne sont pas des banques commerciales (particuliers, entreprises, administrations).

La Banque centrale européenne (BCE) mène ce projet depuis plusieurs années. Elle a lancé une phase d’étude en 2021, puis une phase préparatoire en novembre 2023. La BCE ne se prononcera sur la possible émission d’un euro numérique qu’une fois la législation correspondante adoptée. La Commission européenne a présenté une proposition de règlement en ce sens le 28 juin 2023.

La monnaie de banque centrale prend deux formes, tous les deux sont une monnaie publique :

  • la monnaie fiduciaire banque centrale ;
  • la monnaie scripturale banque centrale (elle se trouve sur les comptes des banques commerciales et du Trésor auprès de la banque centrale; elle sert pour les règlements interbancaires).

La monnaie banque centrale est émise et garantie par la banque centrale et se place dans le bilan de la banque centrale au passif. Elle est incluse dans la masse monétaire au niveau le plus restreint, la dite « base monétaire ».

La monnaie commerciale (scripturale sur les comptes des clients des banques commerciales et utilisable par carte, chèque, virement…) est émise par les banques commerciales (c’est une créance sur entité privée). C’est une monnaie privée, mais est incluse dans la masse monétaire au sens plus large. Elle n’a pas de cours légal.

Le projet d’euro numérique est un euro numérique de détail. L’euro numérique doit offrir un moyen de paiement digital sans utiliser de la monnaie commerciale. Il sera l’équivalent numérique du billet et des pièces, donc une monnaie banque centrale. 

La distinction entre monnaie banque centrale et monnaie commerciale peut paraître théorique, mais elle a des implications pratiques qui touchent à la souveraineté.

Le marché des paiements digitaux est aujourd’hui largement dominé par des acteurs extra-européens. Visa et Mastercard couvrent plus de 70% des paiements par carte en Europe. Cette dépendance peut encore s’accentuer avec le développement de solutions de paiement mobile ou des projets de monnaie privée ou encore par la montée en puissance des cryptomonnaies.

L’euro numérique serait un moyen de limiter la dépendance aux opérateurs privés et d’offrir une solution européenne de moyen de paiement infaillible et sûre. Il constituerait une protection pour l’Europe, notamment en cas de crise, et renforcerait la souveraineté en matière de paiements en Europe.

L’euro numérique n’est pas destiné à se substituer à la monnaie physique (elle resterait disponible comme les autres moyens de paiement électroniques privés existants). Il est une réponse à la préférence croissante pour des paiements numériques rapides et sûrs au détriment de l’usage de l’argent liquide.

L’euro numérique renforcerait la souveraineté européenne. Il aurait un cours légal (son acceptation serait obligatoire) et serait utilisable partout en zone euro et simple à utiliser. Mais c’est surtout la sécurité des paiements qui peut constituer son principal avantage, notamment par rapport aux cryptomonnaies, mais également aux paiements par carte, la BCE garantissant sa valeur.

Par ailleurs, les paiements par euro numérique seraient traçables et confidentiels, ce qui peut réduire les risques de fraude ou de blanchiment. La proposition de règlement de la Commission prévoit un niveau renforcé de protection de la vie privée. Les données personnelles ne seraient pas visibles par la BCE. Ainsi l’euro numérique s’approche le plus possible d’une version digitale des espèces.

Pour les entreprises et les commerçants, l’euro numérique pourrait représenter une réduction de leurs coûts, puisqu’ils ne seraient plus soumis aux opérateurs de cartes bancaires qui prélèvent des frais élevés sur chaque transaction. Du côté des intermédiaires financiers (les banques notamment), l’euro numérique suscite en revanche des craintes. La conversion massive de dépôts en euro numérique (c’est le risque de fuite des dépôts) pourrait éroder leurs sources de financement et même se répercuter sur le canal du crédit en diminuant la quantité de prêts accordés. Afin de contrer ces risques, un plafond de détention en euros numériques pourrait être prévu (par exemple 3 000 euros, le reste des avoirs étant conservé sur d’autres comptes ou cartes de paiement).

La BCE et les banques centrales nationales seraient chargées de l’émission de l’euro numérique. L’euro numérique serait ensuite distribué par les banques commerciales. Son utilisation pour les particuliers serait gratuite. En revanche, il ne pourrait pas être rémunéré ni positivement ni négativement. Un particulier pourrait ainsi avoir en plus de son compte courant un compte en euros numériques. L’euro numérique pourrait être obtenu en convertissant des espèces ou des dépôts.

La BCE précise : « La première étape consisterait à créer votre portefeuille en euros numériques, via votre banque ou un bureau de poste. Vous pourriez alors l’alimenter, depuis un compte bancaire lié ou en y déposant des espèces. Il ne vous resterait plus qu’à effectuer vos premiers paiements en utilisant les euros numériques disponibles dans votre portefeuille. Lorsque vous recevrez des euros numériques, vous pourrez les conserver dans votre portefeuille numérique, jusqu’à un montant maximal, ou les déposer sur votre compte bancaire. Vous pourriez choisir de le faire manuellement ou automatiquement.« 

La Commission européenne et la BCE sont très favorables au projet d’euro numérique. Mais que pensent les citoyens? Afin d’y avoir une première idée, la BCE a réalisé une étude, publiée en mars 2025, portant sur 19 000 personnes dans 11 pays de la zone euro. Elle montre que les citoyens européens sont plutôt satisfaits des alternatives numériques existantes à ce jour. Des aspects concrets tels que la perception du plafonnement des comptes en euros numériques, n’ont pas été testés dans l’étude.

Source: vie-publique.fr