Créée le 27 février 2018, avec l’objectif de faciliter les échanges entre les usagers et les gendarmes, la brigade numérique fête aujourd’hui son 5e anniversaire. À cette occasion, Gendinfo vous propose de vous intéresser non seulement au fonctionnement de cette structure, mais aussi aux gendarmes qui la composent, et qui, chaque jour, répondent présent à plus de 500 sollicitations et signalements.
Dans un bâtiment situé à Rennes, 28 opérateurs, tous gendarmes et tous sous-officiers, sont installés devant plusieurs écrans, dans une grande salle lumineuse, type open-space. Une pièce ressemblant quelque peu à celles des CORG, à une différence près, ici, ce ne sont pas des appels de détresse qui arrivent par téléphone, mais des messages écrits. Ces opérateurs, ce sont ceux de la brigade numérique. Chaque jours, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ils répondent aux sollicitations des personnes qui les contactent via les bulles tchat présentes sur tous les sites du ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer. Pour parler de ce travail bien particulier, nous avons rencontré l’un d’entre eux : la maréchale des logis-chef Tiffany.
Tiffany, vous êtes en gendarmerie depuis neuf ans maintenant, et cela fait un an et demi que vous travaillez à la brigade numérique. Pouvez-vous nous parler de vos missions ?
Je suis opératrice, c’est-à-dire que je prends en compte les tchats qui se présentent au sein de la brigade numérique et qui arrivent par plusieurs vecteurs : il y a l’application et le site « Ma sécurité » qui, suivant le code postal, mettent les gens en contact soit avec la gendarmerie, soit avec la police nationale. Sur ce chat, nous traitons le tout-venant, c’est-à-dire des questions généralistes concernant des gens qui auraient perdu leurs papiers, qui auraient des questions par rapport à une procédure en cours, par rapport à la sécurité routière ou à ce genre de choses. Nous avons aussi le canal « arretonslesviolences.gouv.fr », où l’on traite trois types de tchat : des violences, des discriminations ou du cyberharcèlement.
Les questions qui reviennent le plus souvent concernent des formalités administratives ou des problèmes de voisinage. En revanche, tout ce qui est au niveau de la PNAV (Plateforme Numérique et d’Accompagnement des Victimes ), qui couvre cyber-harcèlement et violences, ce sera très clairement le plus souvent des situations de violences et plus particulièrement des violences conjugales.
Comment répondez-vous à ces messages ?
Au niveau des violences, nous avons plusieurs façons de gérer. Tout d’abord, il y a l’analyse personnelle, qui va nous permettre de savoir, suivant l’urgence de la situation, si on s’oriente vers une intervention ou vers un traitement procédural. Dans le premier cas, c’est nous qui appelons le Centre d’opérations et de renseignement de la gendarmerie (CORG) pour demander une intervention au domicile de la personne qui nous contacte. Dans la seconde situation, on fait une procédure avec l’accord de la personne, qui nous transmettra son identité, laquelle sera envoyée à la gendarmerie de son lieu de domicile qui reprendra la procédure. Il est possible aussi pour nous de prendre rendez-vous directement avec cette gendarmerie, toujours en accord avec la victime, afin d’essayer d’accélérer ou d’optimiser sa prise en compte. La PNAV représente environ 20 à 25 sollicitations sur les 450 à 500 que l’on reçoit quotidiennement. Ce sont des signalements qui, dans 40 % des cas, aboutissent à une judiciarisation, et donc à la création d’une procédure. En fait, ce sont tous les faits qui n’ont pas déjà fait l’objet d’une procédure et qui ne relèvent pas de l’intervention, qui vont donner lieu à une enquête pour protéger les gens.
Quand le cas est plus généraliste, c’est plus de l’aiguillage. Les gens nous voient comme une référence, mais nous ne sommes pas forcément le service le plus adapté à leur demande, donc on va les orienter vers le bon interlocuteur. Parfois, on peut aussi faire remonter en interne, directement aux unités, certaines choses, comme des signalements. Par exemple un véhicule qui stationne à un endroit depuis longtemps, des personnes qui font du bruit ou encore qui ont un comportement suspect. Le fait que ce soit anonyme pousse les gens à parler davantage et nous recevons ainsi pas mal d’informations.
Depuis que vous êtes arrivée à la brigade numérique, le 1er septembre 2021, quelles évolutions avez-vous pu constater, tant en matière de sollicitations que sur le fonctionnement même de la brigade numérique ?
Du côté des sollicitations, je constate très nettement une augmentation, notamment ces derniers temps. Je pense que la communication sur la BNUM commence à faire effet et que les gens commencent à nous connaître. Je sais aussi qu’il y a des gens qui reviennent, parce que parfois, dans la conversation, ils nous disent avoir déjà utilisé l’outil et qu’ils le trouvent très bien. Je pense que ça suit l’évolution de la société et les habitudes des jeunes générations et des gens en général d’utiliser le téléphone et d’écrire plutôt que d’appeler. Et puis je pense que le fait de ne pas avoir la personne en face, ça ôte un certain tabou, une certaine crainte. Ils viennent clairement plus facilement vers nous qu’ils ne le feraient à l’oral ou encore plus en venant dans une brigade.
Concernant la brigade numérique, on constate régulièrement des évolutions de nos procédures, déjà parce que c’est une unité assez récente et puis parce que nous sommes très impactés par l’actualité et par la politique, et cela nous demande de nous adapter rapidement et constamment à certaines situations. Par exemple, concernant la PNAV, au départ, on ne prenait que les situations de violences, et depuis un an, on a ajouté tout ce qui est cyber-harcèlement et discrimination.
Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer sur ce type de mission ?
Cette barrière [de l’écran] peut générer des difficultés de compréhension. Le langage passe aussi par le visuel et là, on ôte justement tout le visuel, donc il faut vraiment faire attention aux mots que l’on emploie, parce qu’on se rend compte que quelque chose qu’on aurait pu dire et qui serait très bien passé en fonction de l’intonation, ne passe pas forcément à l’écrit comme on l’aurait voulu. C’est l’une des premières difficultés. L’autre, c’est peut-être la mise en confiance, plutôt sur le volet des violences. Dans ce domaine, le face-à-face est quelque chose qui effraie, à la fois à cause de l’uniforme et du cadre, mais qui peut aussi rassurer par rapport à l’intonation et aux gestes. Comme là, on ne l’a pas, il y a plus de travail de mise en confiance.
Comment arrivez-vous justement à créer ce climat de confiance ?
Arriver à trouver les mots demande beaucoup d’empathie. Je pense que c’est la force d’avoir eu beaucoup d’expérience du terrain. Cela permet de trouver les bons mots et de se glisser dans le ressenti de la victime qu’on peut avoir à l’autre bout du clavier. Ce n’est pas toujours évident parce que chaque personne et chaque situation sont différentes, donc il faut arriver à percevoir ses mots et ses craintes pour pouvoir les lever et lui montrer qu’on est là pour que ça se passe le mieux possible. Et normalement, au bout d’un moment, si la personne est prête, on arrive à la mettre en confiance et à faire en sorte qu’elle nous donne son identité pour passer à l’étape suivante.
Combien de temps durent les échanges ?
Tout dépend de la situation. Si on est sur le canal généraliste, ça peut être très rapide et durer deux minutes voire moins. On reçoit le premier message, on fait une première réponse et ça suffit. Sur le côté PNAV, en revanche, ça peut être très long. Je pense que mon maximum a été un peu plus de 4 voire 5 heures, et je crois qu’un collègue est monté à 6 heures d’échanges. C’est très long, déjà parce que la personne n’est pas forcément à 100 % disponible dans l’échange – quand vous êtes à la maison, vous posez quelques fois votre téléphone. Puis, si la personne est très très nerveuse – ça a été le cas sur l’une de mes situations de violences où elle avait vraiment beaucoup d’anxiété par rapport au fait d’être confrontée à la gendarmerie -, cela va demander vraiment beaucoup de travail avant d’arriver à la mettre en confiance. Mais cela reste quelque chose d’exceptionnel. Sur le volet PNAV, en général, c’est plutôt entre une et deux heures.
Au niveau de la gestion des conversations, sur le tchat généraliste, on peut monter jusqu’à huit conversations simultanément. Mais c’est le maximum qu’on se fixe, parce que sinon ça devient trop difficile en fonction de la variété des questions et de la précision et la justesse des réponses à fournir. En revanche, pour ce qui est des violences, on a en toujours qu’une en cours parce que ça demande tellement de concentration en termes d’empathie, d’émotions et en termes de choix des mots et de prise en compte, beaucoup plus qu’en face-à-face, qu’on ne peut pas augmenter cette charge-là.
Recevez-vous une formation pour apprendre à faire face aux différentes situations auxquelles vous êtes confrontées ?
La volonté du commandement actuel de la brigade numérique est de recruter des gens qui ont de l’expérience terrain, en privilégiant éventuellement des profils sensibilisés à tout ce qui est violences. Nous avons fait l’objet de tests pour savoir si on pouvait être recruté ou non, puis nous avons eu un entretien avec le capitaine qui commande la brigade numérique. Je suis arrivée le 1er septembre 2021, avec 13 autres camarades. Nous avons été la première montée en puissance de la brigade numérique depuis sa création. Une fois recrutés, nous avons suivi une formation de cinq semaines : deux en juillet 2021, qui ont été très théoriques sur le fonctionnement de la brigade numérique et sur les procédures, le tout agrémenté par la venue d’intervenants, comme un professeur de droit et des associations sur le handicap, parce que nous sommes parfois contactés par des personnes en situation de handicap, et cela peut créer des problématiques de compréhension. Du coup, on a appris comment gérer ces situations.
Nous avons également eu une formation sur la prise en compte de tout ce qui est tchat écrit, dispensée par un formateur qui forme diverses plateformes de SAV de grandes entreprises. Il nous a expliqué les bonnes formulations à avoir en fonction des situations pour rester positif. Puis on a eu trois autres semaines de formation à notre arrivée en septembre, dont une semaine technique sur l’utilisation de l’outil dont on se sert au quotidien pour prendre les tchat, et deux semaines de mise en situation par petits groupes, pour nous laisser intégrer doucement la brigade numérique. Honnêtement, toutes ces formations sont profitables au quotidien. Souvent, je repense à certaines choses qu’on a vues et je trouve le bon outil, la bonne façon de faire pour amener la personne à me dire ce que je voudrais savoir.
Quelles sont les qualités requises pour travailler au sein de la BNUM ?
Très clairement, la première et la plus importante des qualités, c’est l’empathie. C’est ça qui va permettre beaucoup de choses au niveau de la prise en compte des victimes de cyber-harcèlement, de violences ou de discriminations, qui sont souvent sous l’emprise de la peur. La patience aussi, parce que les échanges peuvent être longs. La victime a besoin de parler, et très clairement, elle se confie beaucoup plus à l’écrit qu’à l’oral. Enfin de la pédagogie, mais plus pour le côté tchat généraliste, car nous sommes saisis de beaucoup de choses, parfois un peu indues, et il faut faire preuve de pédagogie pour expliquer que ce n’est pas forcément le moyen ou le lieu pour ce type de sollicitation et orienter la personne vers le bon service. Je pense que ce sont les trois grandes qualités.
Quel est l’échange qui vous a le plus marquée ?
L’échange qui m’a le plus marquée, c’est cette histoire de violence que j’ai évoquée auparavant. J’ai déjà été contactée par le fils de la personne et ça, c’est déjà très rare. De mémoire, il devait avoir 12 ou 13 ans, et il était très inquiet pour sa maman, qui était victime de violences. Il disait qu’elle avait des bleus, notamment sur le visage… Il a fallu du temps pour le mettre en confiance, mais je l’ai trouvé très courageux, parce que ce n’est pas évident avec les témoins d’obtenir des informations d’identité, car il y a la peur des représailles et ils se sentent moins concernés. Mais lui a donné son identité et il était prêt à témoigner pour sa maman. Je lui ai dit qu’il fallait qu’il lui en parle. Il est donc descendu de sa chambre, en a parlé, et finalement, c’est elle qui est venue sur le tchat juste après. Et cette femme, qui avait si peur de la gendarmerie et de la police, a finalement accepté de faire la démarche. Elle m’a envoyé des photos d’elle, et effectivement, ce n’était pas joli à voir. Elle était tellement gênée de me montrer ces photos où elle était dévalorisée, qu’elle s’est sentie obligée de m’envoyer aussi une photo d’elle quand elle allait bien. C’était vraiment touchant. Par la suite, elle a osé aller porter plainte et est ensuite revenue sur le tchat pour remercier la brigade numérique et les gendarmes de brigade qui l’ont reçue et qui lui ont permis de franchir ce cap, un cap qui était vraiment très difficile pour elle.
Vous avez passé plus de 8 ans en brigade, d’abord en Bourgogne, puis en Alsace. Quelles différences avez-vous observées entre un travail en brigade traditionnelle et celui mené au sein de la brigade numérique ?
Ça change beaucoup du travail de brigade. Là, on parle au nom de la gendarmerie nationale. On n’est plus identifié comme une personne et on n’engage pas que ses mots et ses pensées. Il faut faire attention à ce que l’on dit ! Le fait de ne pas être en face libère vraiment beaucoup la parole, et j’ai entendu des mots, des confidences de personnes que je n’aurais jamais entendus en face-à-face durant une audition ou même en dehors de l’audition. Et puis je n’avais pas conscience, même si je le sais parce qu’on est formé pour ça, à quel point une victime peut avoir peur de son agresseur, et là, par écrit, elle nous le confie beaucoup plus. Je pensais que ça m’éloignerait des victimes et des gens que j’aide, et finalement ça m’en a rapproché.
Source: gendinfo.fr