Rattachée au ministère de l’Intérieur depuis 2009, la gendarmerie a su évoluer dans son nouvel environnement, tout en conservant un ancrage fort et pérenne à la famille militaire avec laquelle elle partage une communauté de valeurs que résument les devises des emblèmes de la gendarmerie « Honneur et Patrie, Valeur et Discipline ». Retour sur plus de deux siècles d’histoire.

« Depuis quand avez-vous quitté l’armée ? », demande un général de cavalerie, en 1885, à un officier de la garde républicaine qu’il avait connu au 7e régiment de cuirassiers. L’identité « militaire » de la gendarmerie serait-elle un faux sujet ? Non, au regard de son historicité.

Une « partie intégrante de l’armée »

Dès 1792, soit un an après sa création, la gendarmerie fournit des prévôtés et des unités combattantes pour la guerre contre l’Autriche et la Prusse. La loi de Germinal an vi (1798) lui attribue la prérogative de l’ancienne Maison militaire du roi : « prendre toujours la droite et marcher à la tête des colonnes ». L’ordonnance de 1820 la définit comme « l’une des parties intégrantes de l’armée », à l’écart de toute police occulte, puisque ses membres ne sont « réputés être dans l’exercice de leurs fonctions [que] lorsqu’ils sont revêtus de leur uniforme. » Le décret de 1854 lui reconnaît la possibilité de fournir des unités combattantes et la rattache au ministère de la Guerre pour le contrôle de son service. Mais la « nature mixte » de ce service et l’existence d’une gendarmerie maritime maintiennent le corps « dans les attributions » des ministères de l’Intérieur, de la Justice, de la Marine et des Colonies. La gendarmerie est donc organisée comme une force militaire interarmées et interministérielle, une position consolidée, au cours du xxe siècle, par l’expansion de ses missions de défense et la création des gendarmeries de l’Air, des transports aériens, de l’armement et de la sécurité des armements nucléaires.

Un corps modelé selon des standards militaires

« Le gendarme vient du régiment, la meilleure école. » Ce jugement de 1852 résume l’enracinement, jugé bénéfique, du corps dans l’infanterie et la cavalerie, qui lui fournissent également ses armements et ses chevaux. La pratique est ancienne : depuis 1768, toutes les recrues de la maréchaussée doivent avoir servi dans les troupes. L’origine militaire quasi exclusive des personnels dure jusqu’à la suspension du service national, en 1997, pour les hommes du rang et les sous-officiers, recrutés, depuis 1970, parmi des anciens appelés ayant choisi la gendarmerie. Au niveau supérieur, l’accès externe à l’École des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN) est réservé à des officiers issus des corps de troupe ou des grandes écoles militaires, dont l’École spéciale militaire (ESM) de Saint-Cyr depuis 1967, jusqu’à l’ouverture du concours, en 2001, à de jeunes civils titulaires d’une maîtrise.

Le modèle militaire imprègne la formation et le quotidien des gendarmes du xixe siècle, de l’astiquage du fourniment aux revues et aux défilés. L’emploi des armes, la topographie, l’analyse du terrain occupent une place importante à l’école des officiers, si bien qu’au cours des années 1960, des instructeurs regrettent l’apprentissage insuffisant du maintien de l’ordre et de la police judiciaire. Mais ni le rééquilibrage de l’enseignement, ni le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur ne remettent en cause la dimension militaire de la formation des personnels à tous les niveaux.

L’empreinte de l’armée se retrouve dans le système hiérarchique de la gendarmerie, ses uniformes, sa symbolique et sa morale professionnelle, imprégnée, par exemple, au début du xxie siècle, des devoirs de « l’état militaire » énumérés dans le Code de la Défense de 2004. Comme les autres soldats, les gendarmes, eux aussi encasernés, doivent être guidés par le culte de la mission et le sens de l’honneur, disciplinés et courageux jusqu’au « sacrifice suprême », disponibles et capables d’exécuter leur service en mode dégradé.

Une force complémentaire des autres troupes, avant, pendant et après les opérations

En période de paix, les gendarmes assurent la police des autres soldats, en intervenant dans l’organisation de la conscription, la gestion des permissionnaires et des réserves ou l’escorte des convois de munitions.

L’entrée en guerre accroît leur contribution au rassemblement, au transfert et à l’équipement des troupes, par exemple à travers la répression de l’insoumission et de la désertion. Des unités prévôtales sont, par ailleurs, chargées de multiples tâches : maintien « des hommes sur la ligne de feu [en forçant] au besoin leur obéissance », selon la consigne donnée avant la bataille de la Marne de septembre 1914, police – déterminante – des convois militaires et du ravitaillement, répression de l’indiscipline et de l’alcoolisme, contrôle des civils dans la zone des armées, renseignement, transfert des prisonniers, police judiciaire, participation aux tribunaux militaires, gestion des prisons prévôtales. L’action des prévôtaux s’étend à la population des pays occupés, par exemple en Espagne (1808-1814), au cours de la conquête de l’Algérie, au Mexique (1863-1865), en Indochine, où ces soldats particuliers cherchent à protéger les habitants, leurs biens et leurs coutumes avec des arguments repris par la doctrine « gagner les cœurs et les esprits. »

Depuis la fin du xixe siècle, la militarité de la gendarmerie fait néanmoins l’objet d’un débat récurrent, y compris, parfois, dans ses rangs. Faut-il s’en étonner, dès lors que ce corps se caractérise également par ses fonctions, prédominantes, de police administrative et judiciaire civile, sa culture juridique et légaliste, son enracinement territorial. L’identification du gendarme dépend des périodes et des observateurs : soldat de la loi ou cheval de Troie de l’armée au cœur de l’État démocratique, militaire-citoyen ou trublion du monde de la Défense. Alors que 93 % des entrants dans les écoles de sous-officiers se définissent, en 1994, comme « gendarmes », 84 % des recrues de 2010 – un an après le rattachement de l’Institution au ministère de l’Intérieur – se désignent comme des « militaires de la gendarmerie ». Mais la réaffirmation de cette identité militaire n’exclut pas la conscience d’assumer un service policier polyvalent de première ligne ou un travail spécialisé de haute technicité. C’est « une institution à part », notait déjà Napoléon à propos de l’héritière de la maréchaussée, et c’est cette particularité qui détermine l’étendue de ses missions, la variété de ses modes d’action, l’authenticité et la spécificité de sa militarité.À noter : J.-N. Luc, « Histoire d’une identité militaire particulière. La militarité de la gendarmerie française, de la Révolution au début du xxie siècle »

Source: gendinfo.fr