Dans le cadre de la réalisation d’une étude d’impact de la Covid-19 sur le moral des gendarmes, les psychologues du travail de la Section qualité de vie au travail (SQVT) du Bureau santé sécurité au travail (BSST) de la gendarmerie, sont allés, au cours du premier trimestre 2021, à la rencontre des personnels, dans plusieurs unités de terrain des départements des Yvelines (78) et du Val-d’Oise (95). Militaires de pelotons d’autoroute, de pelotons de surveillance et d’intervention, de brigades de recherches ou encore de brigades territoriales, au total, ce sont vingt unités d’Île-de-France qui ont participé à cette étude, au cours de laquelle les personnels ont pu exprimer leur ressenti.
C’est une étude un peu particulière qui a été initiée par les psychologues de la Section qualité de vie au travail du Bureau santé sécurité au travail (SQVT/BSST) de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Durant deux mois, à partir de janvier dernier, ils sont allés à la rencontre de plusieurs unités d’Île-de-France, pour observer et mesurer l’impact de la Covid-19 sur le travail et le moral des personnels. Une étude atypique, dont l’idée est née en novembre 2020. « Il y a eu pas mal de mesures mises en place, sans que l’on sache vraiment l’impact qu’elles avaient eu sur le terrain et la façon dont elles avaient été perçues. Nous avons donc souhaité voir concrètement ce qu’il en était », explique Élisabeth Ferrere, l’une des psychologues chargée du projet. Pour la réalisation de cette étude, vingt unités ont donc été sélectionnées en Île-de-France, dans les départements des Yvelines et du Val-d’Oise. « Quand on a eu l’idée de ce projet, c’était en novembre, en plein confinement […] On a donc voulu rester cohérent avec les restrictions en limitant nos déplacements », explique la psychologue, avant que le capitaine Grégory Clinchamps, à la tête de la SQVT, ne poursuive : « On a fait le choix de cibler deux groupements d’Île-de-France qui présentent des caractéristiques géographiques et socio-démographiques différentes, pour avoir des environnements variés et plus représentatifs. »
Une réorganisation du travail
Sur le terrain, la venue des psychologues a été particulièrement saluée par les personnels, souvent surpris de cette démarche. « Je trouve ça très bien de savoir que la gendarmerie s’intéresse à nous, surtout en cette période », confie ainsi l’un des gendarmes du Peloton d’autoroute (P.A.) de Saint-Arnoult-en-Yvelines. Ici, comme dans de nombreuses autres unités, la Covid-19 a bouleversé les habitudes. Entre les contrôles de stupéfiants, de vitesse, d’alcoolémie ou encore de papiers aux normes, se sont immiscés les contrôles d’attestation. Une charge de travail supplémentaire sur cette barrière de péage, où passent chaque jour plus de 30 000 véhicules. Alors, pour pouvoir effectuer ces contrôles, tout en protégeant les militaires, la lieutenante, cheffe d’unité, a mis en place, durant les quatre mois du premier confinement, des bordées, répartissant les 33 gendarmes de son unité en deux équipes travaillant en alternance 4 jours sur 8. « Toute la France se mettait au télétravail. Chez nous, il fallait faire quelque chose. […] Le système des bordées nous a semblé le plus approprié. Cela nous a permis de gérer le quotidien et les contrôles, tout en protégeant les personnels », indique la cheffe d’unité au psychologue, avant que l’un de ses personnels ne poursuive : « Le plus dur pour nous, ça a été le deuxième confinement, où les règles étaient allégées et où la population avait plus de mal à respecter les restrictions. »
Les jeunes et les célibataires « géo » en première ligne
La mise en place de bordées, la difficulté du deuxième confinement, l’usure liée aux contrôles et le relâchement de la population compliquant le travail des militaires, sont autant de difficultés ressenties par la plupart des unités. Au Peloton de surveillance et d’intervention de gendarmerie (PSIG) de Saint-Germain-en-Laye, la Covid-19 a été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », indique l’un des gendarmes. Pour cette unité, si le couvre-feu a facilité les interpellations, car « dans la rue, à part les boulangers, il n’y a personne. Alors quand il y a quelqu’un, en général, il a quelque chose à se reprocher », il a également exacerbé un certain nombre de problèmes, comme les violences infra-familiales, ou même les violences à l’encontre des forces de l’ordre. Pour les jeunes recrues du PSIG, confrontées régulièrement à ces comportements, sans autre moyen finalement que le sport pour décompresser et extérioriser, le risque de rupture peut être plus important et exige une plus grande vigilance de la part des adjoints et du commandant d’unité. « Ils ont du mal à dire lorsque ça ne va pas et nous, nous n’avons pas toujours les outils pour le détecter ou les aider », explique l’un d’entre eux.
Dans une brigade territoriale au nord de Paris, où la moitié de l’effectif a été touchée par la Covid-19, dont un très fortement, les jeunes font là aussi l’objet de plus d’attentions. « Il y a un point de vigilance tout particulier pour les Gendarmes adjoints volontaires (GAV). Nous savons que cela a pu être difficile pour certains, tout comme ça a pu l’être également pour les personnes en conditions de célibat géographique ou pour les jeunes gendarmes affectés pendant cette crise sanitaire, avec quelques fois l’impossibilité de déménager et donc, de fait, l’obligation de vivoter pendant quelque temps », souligne le capitaine Grégory Clinchamps.
Un bilan plutôt positif
Si plusieurs points sont remontés du terrain, pour les psychologues du travail du BSST/SQVT en charge de cette étude, le bilan est malgré tout plutôt positif. « Les retours montrent que les personnels de la gendarmerie ont traversé cette crise avec courage et engagement, tout en faisant preuve d’une résilience marquée, et ce, sans doute pour plusieurs raisons. La première, c’est qu’ils ont pu maintenir, voire renforcer, le lien avec la population. La seconde, c’est que dans notre institution, il y a un soutien et une cohésion qui sont présents. […] L’autre point positif, c’est la souplesse d’organisation qui a été permise dans les unités, avec la mise en place exceptionnelle de bordées, lesquelles ont permis aux personnels d’accomplir leurs missions tout en bénéficiant d’un niveau de protection acceptable et, au final, de mieux surmonter psychologiquement le confinement strict », décrypte le capitaine. Concernant le lien avec la population, là aussi, le constat est favorable. « Le grand étonnement reste le contact avec la population. Les personnels ont eu beaucoup de marques de reconnaissance sur leur investissement, sur leur présence. Il y a eu beaucoup de gestes de gratitude, comme des masques qui leur ont été distribués, ou parfois même des repas qui leur ont été livrés au sein de l’unité. C’est aussi important pour eux de voir que cet engagement n’est pas vain. »
L’action des commissions locales de prévention
Pour compléter ces visites et rédiger une étude la plus complète possible, les psychologues du travail du BSST/SQVT vont également s’appuyer sur les éléments anonymes, remontés du terrain via la cellule d’écoute mise en place lors du premier confinement. Viendront également en complément les informations transmises par les Commissions locales de prévention (CLP), dont le travail au quotidien, au plus près des unités, permet d’avoir une vision plus locale de l’impact de la Covid-19 en région.
Cette étude, les psychologues du travail de la section de la qualité de vie au travail, en charge de la prévention des risques psychosociaux, n’excluent pas de l’étendre à des unités autres que celles de la gendarmerie départementale, en s’intéressant également à la gendarmerie mobile et aux états-majors, particulièrement mobilisés durant cette crise.
Source: gendinfo.fr