Les infrastructures des ports maritimes et fluviaux, très consommatrices d’énergies fossiles, ont un impact sur l’environnement. Le réchauffement climatique et la montée des eaux menacent leur existence même. Face à cette situation, comment les ports français peuvent-ils amorcer leur transition énergétique ?

Avec ses quatre façades maritimes (mer Méditerranée, océan Atlantique, Manche et mer du Nord), la France métropolitaine se situe au carrefour des voies maritimes mondiales. Les 66 ports de commerce maritime génèrent près de 350 millions de tonnes de fret et 32 millions de passagers. Les trois ports principaux, Dunkerque, Le Havre-Rouen-Paris (Haropa) et Marseille enregistrent 80% du trafic des grands ports et 13 milliards d’euros de valeur ajoutée.

Les activités portuaires en France

Les grands ports vivent de la diversité d’activités stratégiques :

  • commerce international et logistique : approvisionnement d’énergies (Marseille est le premier port d’hydrocarbures en France), conteneurs de marchandises (12% du trafic des ports français, Le Havre en tête) et export de céréales (Rouen est le premier port céréalier de l’Ouest de l’Europe, notamment) ;
  • industrie : raffinage et pétrochimie (au Havre et à Marseille, par exemple), construction navale, production d’électricité (centrales thermiques), en particulier ;
  • tourisme : le trafic transmanche (par Calais) représente plus du tiers des passagers, les croisières, dont les passagers ont augmenté de près de 70% dans le monde en dix ans (Marseille est le premier port de croisière de France).

Faire face au réchauffement climatique

Les zones portuaires sont directement concernées par le réchauffement climatique sur deux aspects : elles émettent une quantité importante de gaz à effet de serre (GES) et sont aux premières loges des risques littoraux (inondations, tempêtes, érosion côtière, par exemple).

Une plus forte empreinte carbone des navires

L’empreinte carbone de ces zones provient essentiellement des navires qui représentent 60% des émissions de GES des ports dans le monde. Émissions qui ont augmenté de 30% depuis 1990. Les GES proviennent notamment des manœuvres, du chargement et déchargement des marchandises. Près de 50% du trafic des grands ports français sont aujourd’hui constitués d’hydrocarbures et de charbon.

En France, les autorités publiques fixent un cadre juridique à l’adaptation des réseaux et infrastructures de transport maritime au changement climatique. Les ports doivent assurer la sécurité et la pérennité des sites (prévention contre le risque d’inondation, par exemple) et peuvent être des « accélérateurs » de la transition énergétique.

Les zones portuaires doivent limiter leur émission de CO2 pour se conformer aux objectifs nationaux et européens de décarbonation, notamment :

Outre les objectifs de relance économique (porter à 80% le fret de conteneurs en 2050, notamment), la stratégie portuaire nationale de 2021(nouvelle fenêtre) a fixé un « cap intermédiaire » et une feuille de route pour la neutralité carbone dans les dix ans à venir :

  • implantation des activités économiques innovantes pour faciliter l’accueil de nouveaux clients industriels et logistiques ;
  • création d’un écolabel sur les flux logistiques et portuaires pour promouvoir des « chaînes logistiques vertueuses » ;
  • élaborer une trajectoire de transition écologique pour chaque port : fourniture de carburants alternatifs pour les navires, branchement électrique à quai, notamment.

En France, seuls les ports employant plus de 250 salariés doivent évaluer leur empreinte carbone (même si d’autres en tiennent néanmoins compte dans leur projet de transition écologique). L’Union européenne, en avance sur le sujet, a un rôle à jouer dans la mise en place d’un droit de la transition énergétique plus contraignant, estiment les experts.

Des risques littoraux accrus

Mais les ports sont aussi menacés par les risques littoraux liés au réchauffement climatique, en particulier les inondations et submersions. Selon les projections du GIEC de février 2022, il n’est pas impossible que le niveau de la mer atteigne 2 mètres d’ici à 2100, et 5 mètres d’ici à 2150. Les submersions dans les ports seront déjà une réalité en 2030 et 2050. Les experts appellent à une adaptation rapide des côtes européennes, notamment en limitant l’artificialisation des littoraux (constructions de bâtiments ou d’infrastructures sur la mer) et en construisant dans les zones basses.

L’Agence européenne de l’environnement (EEA)(nouvelle fenêtre) estime quant à elle que les pertes annuelles moyennes dues aux inondations côtières des 17 principales villes côtières de l’UE pourraient passer d’environ 1 milliard d’euros en 2030 à 31 milliards d’euros en 2100 selon le scénario le moins favorable.

Des énergies alternatives à développer

Les ports ont commencé leur transition énergétique, essentiellement axée sur la réduction du pétrole et le développement des énergies alternatives. Les zones portuaires sont concernées à la fois par la production de nouvelles énergies (gaz naturel liquéfié, par exemple), par l’alimentation en carburants des navires et le fonctionnement des bâtiments, infrastructures, notamment industrielles.

Le nouveau modèle énergétique national, prévue dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 insiste sur l’importance des énergies renouvelables pour des modes de transport plus propres. La Stratégie nationale portuaire (SNP) a précisé les éléments de la transition : fourniture de carburants alternatifs pour les navires, branchement électrique à quai et production d’hydrogène pour les besoins de l’écosystème industriel portuaire et des petits navires et bateaux.

Quelles nouvelles sources de carburant ?

Le gaz naturel liquéfié (GNL) d’abord, permet de réduire les émissions de dioxyde de carbone et la pollution atmosphérique (notamment les particules fines). L’État s’est engagé à le développer comme carburant marin dans un schéma national d’orientation publié en 2016(nouvelle fenêtre). Des partenariats ont vu le jour avec des entreprises pour l’avitaillement en GNL des ports. Le GNL peut également être utilisé pour les machines de manutention (transfert de marchandises). Quant à l’hydrogène, il est, pour certains professionnels, la « clé » de la décarbonation du transport maritime. Les électro-carburants (e-carburnats) comme le e‑méthanol ou au e‑ammoniac, produits à partir d’hydrogène d’origine renouvelable, présentent un très fort « potentiel de réduction des émissions de GES » (supérieur à 70%, voire 100% dans le cas de l’e‑ammoniac). Seul bémol : son prix très élevé.

Le rôle croissant de l’électricité

L’alimentation électrique à quai permet aux navires de couper leurs moteurs et d’éviter les polluants atmosphériques, les bruits et les vibrations. Premier port français à avoir installé des bornes pour les navires de commerce, Marseille bénéficie du plan « Escales Zéro Fumée(nouvelle fenêtre)«  (Plan Climat régional « Une COP d’avance« ) pour permettre le raccordement de tous les bateaux. En application de la directive européenne 2014/94/UE(nouvelle fenêtre), le cadre d’action national pour le déploiement d’infrastructures pour les carburants alternatifs (2017)(nouvelle fenêtre) fixe les objectifs de déploiement de chaque port d’ici 2025 en matière de GNL comme carburant marin et d’électricité à quai. Le plan France Relance pour le « verdissement des ports »(nouvelle fenêtre) (2021) a financer de nombreux branchements à quai. Récemment, le paquet européen « Fit for 55 »  prévoit l’obligation pour les principaux ports européens de s’équiper en prises électriques à quai pour les navires ferry, croisière et conteneur pour 2030 au plus tard. Le règlement FuelEU Maritime contient à cet effet l’obligation pour les navires d’être équipés et de se connecter aux bornes électriques.

L’électricité est aussi présente dans d’autres dispositifs, à l’étude ou déjà opérationnels, tels que systèmes de propulsion alternatifs des navires (à la place du fioul), digues portuaires productrices d’énergie, navettes électriques ou encore des énergies marines renouvelables (EMR).

Le développement de l’éolien en mer

Source nouvelle d’énergie, l’éolien en mer (offshore), plus complexe et plus coûteux que son équivalent terrestre, fait l’objet d’une stratégie gouvernementale depuis 2020. Elle prévoit la mise en place de 50 parcs offshore d’ici 2050. Les sept parcs en voie de développement (Dunkerque, Fécamp, Le Tréport, Courseulles-sur-Mer, Saint-Brieuc, Saint-Nazaire et Noirmoutier) sont attendus entre entre 2022 et 2027.

Les énergies marines renouvelables (EMR)

Les énergies marines renouvelables(nouvelle fenêtre) produisent de l’électricité à partir des forces marines :

  • l’énergie hydrolienne est produite par l’énergie des courants de marée (qui font marcher une turbine sous l’océan) ;
  • l’énergie marémotrice utilise la marée pour remplir ou vider un bassin de retenue en actionnant des turbines incorporées dans le barrage ;
  • l’énergie houlomotrice est produite par le mouvement des vagues, la houle pouvant voyager sur de très longues distances et apporter sur une côte de l’énergie collectée au large.

La plupart au stade de la recherche et de l’expérimentation, ces technologies bénéficient du soutien financier de l’État.

Adapter le modèle économique et territorial des zones portuaires

La transition énergétique qui implique une certaine adaptation des ports français a un impact sur les activité portuaires et sur l’espace urbain qui jouxte les ports.

Une restructuration territoriale

Longtemps basées sur le « tout pétrole » et la super-conteneurisation, les zones industrialo-portuaires (ZIP) étaient isolées de la ville. La transition énergétique conduit à une véritable restructuration économique et territoriale du réseau portuaire, selon les dernières études. La fin du pétrole entraîne une reconversion industrielle. Il s’agit, par exemple, de gérer autrement la logistique, créer de nouvelles activités durables, mais aussi construire de nouveaux navires utilisant des énergies plus propres et des systèmes à propulsion alternatifs. Les nouveaux ports, « hubs énergétiques » concentrant l’ensemble des mobilités (maritimes, terrestres, voire fluviales et aéronautiques), doivent être mieux intégrés à la ville, soulignent également les experts.

Au regard de l’enjeu économique de la transition énergétique, les ports doivent se doter « d’une vision stratégique sur les implantations d’énergies renouvelables » mais aussi sur « les synergies possibles entre les différentes activités installées sur leur périmètre (économie circulaire)« , pointe, en décembre 2021, un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) sur la fourniture de carburants alternatifs dans les ports(nouvelle fenêtre). Le document préconise à ce sujet « un meilleur partage entre les administrations aujourd’hui qui apparaissent cloisonnées dans des approches trop linéaires« . Développer une économie circulaire dans les « écosystèmes portuaires » favorise une « démarche locale et multi-acteurs pour l’optimisation de la gestion des ressources« , constatait aussi, en 2015, un recensement scientifique publié par l’Ademe(nouvelle fenêtre).

Atteindre un territoire zéro carbone passe par la mise en place d’une écologie industrielle et territoriale(nouvelle fenêtre), branche de l’économie circulaire, fondée notamment sur :

  • l’ouverture des ports sur les villes (« port urbain« ) ;
  • une coopération entre les autorités portuaires et les différents acteurs (collectivités locales, habitants, transporteurs, industries, fournisseurs d’énergies…) ;
  • la mise en place de synergies de substitution (échange de matière et d’énergie entre entités) et de mutualisation (approvisionnements communs, partages d’équipements ou de ressources).

Le projet La Rochelle territoire zéro carbone(nouvelle fenêtre), par exemple, s’est engagé dans une transition énergétique organisée dans un projet collaboratif (objectif « territoire zéro carbone« ) entre la ville, la communauté d’agglomération, le port, l’université essentiellement. Le territoire rochelais accompagne les entreprises pour réduire les émission de gaz à effet de serre dans la logistique, les transports et les besoins énergétiques, en particulier. Le label « Matières premières rochelaises » (MER), lancé en 2016, prévoit l’achat mutualisé de voitures électriques, le partage de palettes…

Les enjeux de la Stratégie nationale portuaire 2023

La prochaine Stratégie nationale portuaire de 2023, en cours d’élaboration, devrait être présentée dans le courant du premier semestre 2023. Le gouvernement souhaite une coopération renforcée en matière de politique portuaire entre l’État et les collectivités à l’échelle nationale. Les enjeux sont d’ores-et-déjà annoncés : la décarbonation des activités industrielles dans les zones portuaires, l’électrification des ports et leur connexion avec les modes ferroviaires et fluviaux.

Qu’est-ce qu’un smart port ?

Un smart port(nouvelle fenêtre) se définit comme un port « intelligent« , connecté. Pour la gestion du trafic, par exemple, la capitainerie connectée diminue les temps d’attente et facilite la connexion électrique des navires à quai. Les émissions de CO2 sont ainsi réduits de 30% à 50%. Le smart port permettrait aussi une connexion entre le port du futur et la ville à travers une « smart port city« , où les lieux et les objets seraient connectés fluidifiant les transports, les mesures de sécurité ou encore les énergies.

Source: vie-publique.fr