Les conditions dans lesquelles les services de police et de gendarmerie nationales peuvent utiliser des drones ont récemment évolué avec un décret du 19 avril 2023. Cependant, l’utilisation des drones lors des manifestations du 1er mai 2023 a suscité certaines critiques. Le point en six questions sur les textes en vigueur.
Le code de la sécurité intérieure définit les conditions dans lesquelles les services de sécurité de l’État (police, gendarmerie nationale, douanes, armée) peuvent procéder, au moyen de caméras aéroportées, à la captation, l’enregistrement et la transmission d’images. Le code de la sécurité intérieure a notamment intégré l’article 47 de la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, modifié par l’article 15 de la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.
Plus récemment, le 20 avril 2023, un décret sur l’utilisation des drones équipés de caméras par les forces de sécurité, notamment pour le maintien de l’ordre ou la surveillance des frontières a été publié au Journal officiel.
Dans sa décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022, le Conseil constitutionnel, saisi par les parlementaires, a censuré plusieurs articles de la loi du 25 mai 2021, au motif en particulier que certaines des dispositions prévues dans le cadre de l’usage des drones pouvaient porter atteinte au droit et respect de la vie privée. Ainsi, ont été censurées par le Conseil constitutionnel :
- la disposition autorisant les forces de l’ordre en cas d’urgence à recourir pendant quatre heures aux drones sans autorisation préalable du préfet ;
- la disposition autorisant la police municipale à recourir aux drones.
Le Conseil constitutionnel avait également émis certaines « réserves d’interprétation » :
- le recours au drone ne peut être autorisé par le préfet que lorsqu’il s’est assuré que d’autres moyens moins intrusifs ne sont pas possibles car susceptibles d’entrainer des menaces graves pour l’intégrité physique des agents ;
- le préfet ne peut renouveler une autorisation d’utilisation de drones que lorsqu’il est établi « que le recours à ces dispositifs aéroportés demeure le seul moyen d’atteindre la finalité poursuivie » ;
- la loi ne peut autoriser les services compétents à procéder à l’analyse des images au moyen d’autres systèmes automatisés de reconnaissance faciale qui ne seraient pas placés sur ces dispositifs aéroportés.
Comme le précise la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sur l’usage des drones, les garanties fixées par la loi sont les suivantes :
- un quota de nombre maximal de drones est défini pour chaque département ;
- l’utilisation de drones doit être autorisée par décision écrite et motivée du représentant de l’État dans le département ou, à Paris, du préfet de police. Dans cette décision doivent figurer l’objectif poursuivi, la zone géographique strictement nécessaire à l’atteinte de cet objectif et le nombre de caméras pouvant procéder simultanément aux enregistrements ;
- les caméras ne peuvent procéder ni à la captation du son, ni comporter de traitements automatisés de reconnaissance faciale (systèmes de rapprochement ou d’interconnexion, mise en relation automatisée avec d’autre traitements de données) ;
- hormis dans le cas d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, les images ne peuvent être conservées pour une durée supérieure à sept jours à compter de la fin du déploiement du dispositif ;
- les dispositifs ne peuvent être employés pour recueillir des images d’intérieur des domiciles ou de leurs entrées (« sauf exception au regard des circonstances de l’intervention« ).
Le décret n° 2023-283 du 19 avril 2023 redéfinit et étend le cadre administratif dans lequel il est possible d’utiliser des aéronefs équipés de caméras et de systèmes d’enregistrement.
Dans son communiqué sur la nouvelle réglementation sur la captation d’images de drones dans un cadre administratif, le ministère de l’intérieur précise les circonstances dans lesquelles des drones peuvent être utilisés, « pour assurer la sécurité des manifestations et sur la voie publique dans un objectif de maintenir ou de rétablir l’ordre public, pour la prévention d’actes de terrorisme, pour la régulation des flux de transport, pour la surveillance des frontières ou encore dans le cadre des secours aux personnes« .
La CNIL rappelle, dans son avis du 16 mars 2023, qu’elle n’a pas autorité pour « valider » ou « refuser » les dispositions prévues. Ses avis ont pour objectif d’éclairer les autorités publiques qui la saisissent.
La Commission rappelle que, par son statut d’acte réglementaire unique (RU-72), le décret du 19 avril 2023 oblige les administrations souhaitant avoir recours à ce type de dispositif à respecter certaines conditions d’usage :
- sur les conditions de mise en œuvre des caméras aéroportées : communiquer à la CNIL la « doctrine d’emploi » à l’usage des forces de l’ordre, en l’absence, dans le texte du décret, de critères exhaustifs sur les situations pouvant donner lieu à l’enregistrement ou à la transmission en temps réel des images au poste de commandement des forces de l’ordre ;
- sur l’information des personnes : une information générale du public sur l’emploi des drones doit être délivrée par le ministère de l’intérieur. De plus, précise la CNIL, les personnes doivent être informées « par tout moyen » que le recours des drones a été autorisé dans le cadre d’une intervention particulière (« sauf si l’urgence, les objectifs poursuivis ou les conditions de l’opération l’interdisent« ).
La CNIL recommande par ailleurs qu’une information soit donnée sur le lieu de l’opération au cours de laquelle les caméras aéroportées seront utilisées (par exemple via des dispositifs sonores), notamment lorsque les drones sont utilisés pour sécuriser une manifestation.
Le lundi 1er mai 2023, des organisations de défense des libertés avaient saisi la justice afin de suspendre les arrêtés pris par différentes préfectures en France, autorisant l’usage de drones par les forces de l’ordre pendant les manifestations.
Pour sa part, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête contre la préfecture de police de Paris considérant que « les requérants n’établissent pas » que l’arrêté « porte une atteinte grave et manifestement illégale aux droits et libertés » qu’ils invoquent.
Les arguments mis en avant à Paris par les organisations de défense des libertés pour contester le recours aux drones reposaient en particulier sur :
- le non-respect des conditions d’usage des drones ;
- l’absence de publication et de communication, à la CNIL, de la « doctrine d’emploi » des drones ;
- une zone de survol (sept kilomètres carrés) ainsi qu’une étendue temporelle (de 9 heures à 22 heures) jugées « totalement excessives » par les organisations de défense des libertés.
Toutefois, à la suite de la publication au Journal officiel du décret du 19 avril 2023, un recours sur l’utilisation des drones par les policiers et les gendarmes va être examiné, le 16 mai 2023, par le Conseil d’État.