Érosion, pression démographique, urbanisation… le littoral français est exposé à de nombreux phénomènes qui le fragilisent. Le réchauffement climatique a accéléré les aléas naturels. Quelle stratégie mettre en place pour mieux protéger ces territoires ?

Plages, dunes, estuaires, complexes industrialo-portuaires, aquaculture, stations balnéaires… le littoral français est composé d’une grande diversité d’espaces. Zone entre terre et mer, il s’étend sur 20 000 kilomètres de côtes. Longtemps délaissée, cette bande de terres fait aujourd’hui l’objet d’une attention très particulière et inquiète des pouvoirs publics face aux risques considérables engendrés par les risques climatiques.

Les littoraux : des espaces attractifs

Grande diversité de paysages, nombreuses activités économiques et forte croissance démographique, le littoral présente une forte attractivité. Quelques chiffres clés illustrent la diversité et l’attrait pour ces zones :

  • 1 212 communes littorales : 975 communes riveraines de la mer ou de l’océan (885 en métropole et 90 en outre-mer hors Mayotte), 237 communes riveraines d’un lac, d’un estuaire ou d’un delta ;
  • une biodiversité « exceptionnelle » : près de 45% d’espaces naturels (plages, falaises, marais, mangroves…), un très grand nombre d’espèces animales et végétales,  10% des récifs coralliens mondiaux, 36,5% du littoral est un espace protégé (site Natura 2000réserve naturellecœur de parc national) ;
  • 2 840 kilomètres du linéaire côtier artificialisés et aménagés (digues, murets en pierre, épis, notamment) en métropole ;
  • 66 ports de commerce ;
  • industries de la mer   industrie navale, nautique, énergies marines renouvelables (EMR) et offshore, soit 45 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 125 000 emplois ;
  • agriculture littorale (conchyliculture, élevage de moutons, par exemple) : les terres agricoles occupent 35% des territoires communaux (1 200 agriculteurs et 32 000 hectares), en régression depuis 40 ans.

Avec 272 habitants par kilomètres carrés et 6 millions de résidents, les littoraux affichent une densité de population 2,5 fois plus élevée que sur le reste du territoire. Ils sont aussi la première destination touristique en France sur trois façades maritimes (Manche-Mer du Nord, Atlantique et Méditerranée) et dans les départements et régions d’outre-mer. En Métropole, les territoires placés sur les 5 500 kilomètres de côtes représentent :

  • 1 948 kilomètres de plages, 5 000 kilomètres de chemins de randonnée et 3 000 kilomètres d’itinéraires vélos ;
  • 473 ports de plaisance (9 millions de personnes pratiquent la plaisance de façon occasionnelle et 4 millions régulièrement) ;
  • 32% de l’ensemble des nuitées et 22,2% des voyages ;
  • 36% des résidences secondaires (5 millions de lits) et 40% des lits touristiques (la densité d’hébergements peut multiplier la population de certaines communes de deux à six fois l’été).

Le littoral présente de forts enjeux à la fois économique, social et humain. Mais, cette richesse accentue en partie les risques naturels qui touchent les côtes.

Un peu d’histoire

Perçues par l’État comme des territoires sauvages et inquiétants depuis le Moyen-Âge, les zones littorales et leurs populations étaient délaissées par les autorités, selon l’historien Gérard Le Bouëdec (L’évolution de la perception des zones côtières du XVe siècle au XXe siècle – Terres Marines). Ces espaces échappent alors à l’État au profit de « seigneurs laïcs et ecclésiastiques ».

Le XVIIe siècle connaît un tournant dans la perception du littoral : militarisation de côtes (Brest, Toulon…) et développement économique et commercial. L’État s’approprie ces territoires et encadre les populations côtières.

Dans les années 1850, les zones côtières se transforment face à l’industrialisation et à la mondialisation des échanges : révolution technologique, professionnalisation, effondrement des petits ports, notamment. Les populations de l’intérieur à la recherche d’exotisme et de nature vraie ont une nouvelle perception du littoral (loisirs, bienfaits pour la santé, dépaysement…). Après le développement du tourisme balnéaire, un changement de modèle, issu d’une sensibilité aux valeurs environnementales, émerge dans les années 1970. Protéger le littoral devient une exigence, qui se traduit par une succession de mesures qui aboutiront à la « loi littoral » :

  • mise en place du premier ministère de l’environnement (1971) ;
  • création du Conservatoire du littoral (1975) : politique foncière du littoral, respect des sites et de l’équilibre écologique ;
  • maîtrise de l’urbanisation et du développement économique : loi de 1976 sur les espaces naturels sensibles, notamment ;
  • circulaire du 4 août 1976 (protection des espaces naturels et maîtrise de l’urbanisation) ;
  • loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral dite « loi littoral » du 3 janvier 1986.

Submersions marines, érosions, inondations… : des territoires de plus en plus menacés

Submersions marines, érosions, inondations… les littoraux subissent des phénomènes naturels qui entraînent des risques pour la population, les espaces naturels et les activités économiques.

L’érosion se définit par « la perte de sédiments le long du rivage qui réduit la surface émergée« , qui entraîne le recul du trait de côte. Les éboulements des hautes falaises normandes illustrent précisément ce phénomène naturel (Le littoral de la Seine-Maritime en mouvement – étude Cerema/DDTM) : elles reculent de 20 centimètres/an, mais un effondrement peut porter ce chiffre à plus de 10 à 15 mètres en un court instant.

Près d’un quart des côtes en métropole et en outre-mer (hors Guyane) sont concernées, soit 920 kilomètres, précise l’Indicateur national de l’érosion côtière. Environ 30 kilomètres carrés de terre ont disparu au niveau des secteurs en recul sur une période de 50 ans et 37% des côtes basses sableuses sont en recul (700 kilomètres). Tous les départements sont touchés. Au total, 126 communes font face à l’érosion côtière. La Bretagne est la plus exposée au recul du trait de côté (41 communes). La Charente-Maritime, la Gironde et les Bouches-du-Rhône représentent plus de la moitié des surfaces perdues, selon le Commissariat général au développement durable (CGDD). Les risques de submersions ou d’érosion pèsent sur 850 000 habitants.

Qu’est-ce que le trait de côte ?

Le trait de côte est la limite géographique qui sépare la terre de la mer. Il peut être une ligne sur une carte géographique ou une bande côtière de largeur variable. On le reconnaît alors de différentes manières : limite de végétation, sommet d’une falaise rocheuse ou sableuse, ouvrage de protection du littoral, par exemple. Il existe 45 marqueurs du trait de côte utilisés pour les localiser et noter leur évolution. Les zones exposées au recul du trait de côte (ZERTC) sont encadrées afin de les aménager.

Phénomène naturel causé par le vent, les courants, les précipitations, les variations du niveau de la mer, l’érosion est cependant aggravée par plusieurs facteurs :

  • l’impact du réchauffement climatique (élévation du niveau de la mer et augmentation de la fréquence et de l’intensité d’événements météorologiques) : en cas de réchauffement climatique de 1,5°C, la montée des océans pourrait atteindre 55 centimètres en 2100. Si les températures augmentent de plus 4°C de réchauffement à la fin du siècle, la montée des eaux serait de 93 centimètres, affirme un rapport du GIEC du 20 mars 2023 ;
  • la démographie (4,5 millions d’habitants supplémentaires d’ici 2040 selon l’Institut national de la statistique et des études économoiques) et l’urbanisation croissantes ainsi que la forte concentration d’enjeux socio-économiques.

L’urbanisation entrainent des destructions de sites, un appauvrissement des ressources et un déséquilibre pour l’environnement et la société (spéculation immobilière), alerte le Conservatoire du littoral. L’artificialisation des sols amplifie les risques d’inondations, la perte de la biodiversité, le réchauffement climatique, les pollutions.

Globalement, selon l’évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques, « les écosystèmes côtiers sont les plus vulnérables car davantage exposés aux différentes pressions : pollutions terrestres, prolifération d’algues induites par les excès de nutriments, destructions d’habitats liées aux activités humaines (pêche, tourisme, notamment)« . Il faut, au récif corallien, par exemple, plusieurs décennies pour se relever des agressions. L’élévation du niveau de la mer a par ailleurs des effets sur les écosystèmes qui stockent du carbone « bleu » (mangroves, herbiers, marais littoraux) qui sont particulièrement menacés. Or, ils jouent un rôle important dans la régulation du climat en stockant le carbone pour plusieurs millénaires.

Autres risques : les inondations, suites à des phénomènes violents (tempête, par exemple) et la submersion des terres côtières (tempête Xynthia, en 2010). Sont potentiellement concernés :

  • 5 millions d’habitants et 850 000 emplois sont exposés au risque de submersion marine ;
  • 165 000 bâtiments et 864 communes plus particulièrement vulnérables ;
  • 700 000 hectares sont situés en zone basse (sous le niveau atteint par la mer lors de conditions extrêmes).

Le cadre juridique des zones côtières : la loi littoral

La loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « loi littoral », a pour objectif de concilier préservation et développement du littoral. Elle prévoit, en particulier :

  • la prise en compte des spécificités de chaque littoral permettant aux collectivités locales d’adapter la loi, en particulier dans les documents de planification urbaine et rurale (SCot, PLU) ;
  • la mise en conformité des documents d’urbanisme locaux (Plans locaux d’urbanisme-PLU, par exemple) avec la loi ;
  • la maîtrise de l’urbanisation encadrée et limitée (lutte contre le « mitage » et le « bétonisation » du littoral) : les constructions doivent être réalisées en continuité avec les communes existantes ou en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement. Elles sont interdites sur une bande littorale de 100 mètres à partir de la limite haute du rivage ou de la marée haute (des dérogations sont prévues dans certaines conditions).

Pour accompagner l’application de cette loi et les spécificités d’aménagement, une instruction pour les élus accompagnée de fiches techniques leur permet de décliner les dispositions légales dans leurs documents d’urbanisme, dont le schéma de cohérence territoriale (SCoT).

La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) a renforcé l’adaptation des dispositions de la loi littoral aux particularités locales. Elle a supprimé les constructions de « hameaux nouveaux » et autorisé celles prévues dans « des secteurs déjà urbanisés » sous certaines conditions, notamment :

  • les secteurs ne sont pas situés dans les 100 mètres du rivage ;
  • ils doivent être identifiés par les documents d’urbanisme (SCot, PLU) ;
  • les constructions ne peuvent pas « étendre le périmètre bâti » et doivent servir uniquement à l’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics.

Le Conservatoire du littoral, acteur public, joue un rôle central de préservation de espaces côtiers. Il achète des terres en bord de mer ou de lacs pour les protéger et confie leur gestion aux collectivités territoriales (région, département…). Aujourd’hui, l’établissement gère 750 sites, 203 762 hectares et 13% des côtes. Les 900 gardes du littoral, dont environ 300 commissionnés au titre de la police de l’environnement, sont chargés de l’accueil du public, de l’entretien et de la surveillance des lieux.

La loi littoral n’était pas à l’origine prévue pour faire face à l’ampleur des événements climatiques décrits aujourd’hui. L’État et le législateur ont pris des mesures récentes pour renforcer la protection du littoral.

La loi littoral est-elle respectée ?

La réglementation limitant les constructions sur les zones côtières semblent difficiles à faire appliquer. Les associations de défense de l’environnement dénoncent les constructions illégales sur la bande littoral, notamment en Bretagne. Des permis de construire délivrés par les maires sous la pression immobilière échappent au contrôle des autorités de l’État. En engageant des recours devant les tribunaux, les associations parviennent à obtenir l’annulation de certains permis et plans locaux d’urbanisme (PLU).

Une adaptation nécessaire au changement climatique

Comment concilier la protection du littoral face aux risques climatiques et son développement ? Les autorités publiques ont mis en place ces vingt dernières années différentes stratégies :

  • la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte (SNGITC) de 2012, actualisée en 2017, prévoit d’adapter les territoires littoraux en s’appuyant, notamment, sur les service rendus par les écosystèmes côtiers (les plages, dunes, lagunes limitent les inondations et l’érosion par « effet tampon« , par exemple) ;
  • la stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML) en 2017 (la version 2 pour la période 2023-2029 est en cours de construction) : transition écologique pour la mer et le littoral, développement de l’économie bleue durable, bon état écologique du milieu marin et préservation d’un littoral attractif ;
  • la stratégie nationale biodiversité 2030 (mars 2022) : protéger et restaurer la nature, accompagner la transition écologique des activités humaines les plus néfastes (réduire l’artificialisation et stopper l’étalement urbain, notamment) et soutenir l’évolution d’une société plus en harmonie avec l’environnement.

La loi Climat et résilience du 22 août 2021 consacre la SNGITC et met en place des outils pour aider des collectivités territoriales a adapter leur action en matière d’urbanisme et d’aménagement au recul du trait de côte. Le texte « facilite l’articulation entre documents d’urbanisme et plans de prévention des risques naturels (PPRN) sur le recul du trait de côte« .

En application de la loi, l’ordonnance du 6 avril 2022 autorise des dérogations à l’obligation de continuité avec les agglomérations et villages existants prévus par la loi littoral. L’urbanisation pourra s’étendre dans le cadre d’un projet partenarial d’aménagement (PPA). Les 126 communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral sont tenues de cartographier de l’évolution du trait de côte à 30 et 100 ans. Dans les zones exposées d’ici 30 ans, par exemple, les nouvelles constructions seront interdites, à l’exception de l’installation de services publics et de nouvelles activités économiques nécessitant la « proximité immédiate » de la mer notamment.

Un nouveau bail réel d’adaptation à l’érosion côtière est mis en place. Conclu entre un bailleur public et un preneur sur des bâtiments situés dans les zones exposées, ce bail a une durée comprise entre 12 et 99 ans. Une résiliation anticipée est possible, en fonction de l’évolution de l’érosion, si la sécurité des personnes et des biens est en jeu.

L’État a aussi mis en place des dispositifs de prévention des risques littoraux, notamment :

  • le plan de prévention des risques naturels (PPRN) : réglemente l’utilisation des sols et les constructions en fonction des risques naturels ;
  • la prévention des inondations : stratégie nationale de gestion des risques d’inondation (SNGRI) ;
  • les systèmes de vigilance et alerte, en liaison avec Météo France et le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) pour disposer d’une vigilance « vagues-submersion« .

Pour répondre aux nouveaux défis environnementaux, le Conservatoire du littoral s’est doté d’un plan stratégie d’intervention 2015-2050, qui prend en compte les différentes stratégies de l’État et celles des collectivités locales (les SCoT, par exemple). Objectif : protéger 320 000 hectares d’ici à 2050 (le « tiers naturel littoral« ). Au sein de zones d’intervention couvrant les sites à protéger, « des périmètres autorisés » sont désignés pour permettre au Conservatoire d’acquérir des terrains à l’amiable, par droit de préemption urbain ou par expropriation.

L’ensemble forme un « millefeuille » complexe de règles qui portent à la fois sur la protection du littoral consacrée par la loi de 1986, l’adaptation des littoraux au recul du trait de côte, la prévention des risques naturels.

Les collectivités locales littorales savent « l’inéluctabilité du phénomène d’érosion des littoraux et de la nécessité d’un projet global de territoire comme réponse durable« , souligne un rapport parlementaire de 2019. Regrettant l’absence de « dynamique littorale » (qu’il préfère à la notion d' »érosion côtière« ), le rapporteur préconise « des solutions pour la faire sortir d’une marginalité, qui rend, aujourd’hui, précaires, les nombreuses tentatives de résilience et de recomposition spatiale » proposées par les territoires. Le rapport recommande par exemple :

  • d’élaborer et donner un fondement juridique à des projets « Litto 21 » adaptés aux spécificités locales pour planifier une « recomposition spatiale » (en concertation entre les intercommunalités, les acteurs sociaux, économiques et associatifs locaux) et relocaliser une école sur les hauteurs, supprimer des enrochements, réimplanter des campings… ;
  • de créer un fonds dédié à l’aménagement du littoral, basé sur une taxe additionnelle aux droits de mutation immobilière prélevés par les collectivités côtières.

La protection du littoral vue d’Europe

L’Union européenne (UE) a mis en place un cadre règlementaire afin de protéger le littoral. La politique maritime intégrée vise à coordonner les activités interconnectées relatives aux océans, aux mers et aux côtes de l’UE. Des fonds, comme le fonds européen les affaires maritimes interviennent en soutien de projets dans le cadre de cette politique.

Il existe aussi des programmes de coopération territoriale européenne (Interreg) pour l’espace maritime : programmes « Méditerranée« , « Espace Atlantique« , par exemple.

Suite à un atelier international sur l’adaptation du littoral au changement climatique, en 2022, un « Policy Paper » pour l’adaptation des côtes au changement climatique a été élaboré. Outil d’accompagnement pour les États membres, il comprend deux axes : les zones naturelles et non-bâties (aires protégées, terres agricoles, espaces forestiers, patrimoine naturel) et l’interaction entre les espaces naturels et urbanisés (villes, routes, ports, aéroports, notamment).

Source: vie-publique.fr