Les pesticides ont été au cœur des débats lors de la crise agricole de janvier 2024. C’est dans ce contexte qu’a été présentée le 6 mai 2024 la nouvelle stratégie Écophyto 2030 qui vise à réduire de 50% l’utilisation des produits phytopharmaceutiques par rapport à la moyenne triennale 2011-2013. L’occasion pour Vie-publique.fr de faire le point.
Fongicides, herbicides, insecticides… Les substances qui contrôlent, détruisent ou préviennent les organismes considérés comme nuisibles sont regroupées sous le terme de pesticides. Ce terme recouvre à la fois les produits phytopharmaceutiques utilisés sur les végétaux dans l’agriculture, l’horticulture, les parcs ou les jardins et les produits biocides utilisés pour d’autres applications, par exemple pour protéger les matériaux ou désinfecter mais aussi les produits antiparasitaires utilisés chez l’animal, comme les antipuces.
La Commission européenne définit un pesticide comme “un produit qui prévient, détruit, ou contrôle un organisme nuisible ou une maladie, ou qui protège les végétaux ou les produits végétaux durant la production, le stockage et le transport”.
Les pesticides peuvent être préparés à base de produits non chimiques. Mais ils désignent le plus souvent des produits chimiques.
Le glyphosate est un herbicide utilisé dans les cultures. En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) avait estimé que le glyphosate était probablement cancérigène pour les humains. Toutefois, cette évaluation avait été contredite en novembre 2015 par les conclusions d’une étude rendue publique par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).
Le 16 novembre 2023, un vote des 27 pays de l’Union européenne n’a pas dégagé de majorité qualifiée. En l’absence de majorité, la Commission européenne a décidé d’autoriser le glyphosate pour dix années supplémentaires, jusqu’en 2033. 17 pays de l’UE ont voté en faveur de ce renouvellement. Pour sa part, la France s’est abstenue.
Les pesticides font l’objet d’une surveillance particulière en raison, d’une part, d’une « présomption » de dangerosité pour l’être humain, qu’elle soit liée à l’exposition au produit ou à l’ingestion d’aliments contaminés. D’autre part, ces produits peuvent être nocifs pour certaines espèces nécessaires au bon fonctionnement des écosystèmes.
Selon un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publié en 2021, la présomption d’un lien entre l’exposition de la population au chlordécone (insecticide utilisé dans les Antilles françaises par le passé) et le risque de cancer de la prostate a été confirmée. Concernant l’herbicide glyphosate, l’expertise a conclu à l’existence d’un risque accru de certains types de lymphomes. Globalement, les études épidémiologiques sur les risques de leucémie de l’enfant concluent à une présomption forte de lien avec l’exposition aux pesticides de la mère pendant la grossesse.
Un certain nombre de ces substances se retrouvent dans l’alimentation. En 2016, une analyse réalisée par l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) constate, sur près de 7 000 échantillons d’aliments présents sur le marché français (la moitié d’origine française) la non conformité de 6,4% de l’échantillon avec le dépassement de la limite maximum de résidus (LMR) pour au moins un pesticide.
Selon le rapport sur l’état de l’environnement en France publié en 2019, des pesticides sont retrouvés dans 80% des masses d’eaux souterraines en 2017, avec environ un quart d’entre elles dépassant le seuil réglementaire.
Enfin, certains produits phytosanitaires sont soupçonnés de nuire à la biodiversité, notamment à la biodiversité des sols ou à la survie de certaines espèces comme les abeilles.
Comme le souligne le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, il existe des distances de sécurité pour les traitements phytopharmaceutiques à proximité des habitations.
Selon l’arrêté du 27 décembre 2019, en règle générale, l’utilisation de ces produits doit s’effectuer en respectant une distance incompressible de 20 mètres lorsqu’il s’agit de produits contenant une substance « préoccupante« .
Pour les autres produits, cette distance est de :
- dix mètres pour l’arboriculture, la viticulture, les arbres et arbustes, la forêt, les petits fruits et cultures ornementales de plus de 50 centimètres de hauteur, les bananiers et le houblon ;
- cinq mètres pour les autres cultures.
La réglementation française des pesticides est définie en fonction des types d’usages : produits phytopharmaceutiques, biocides et médicaments vétérinaires. Chaque produit est soumis, après évaluation, à une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) pour les produits phytopharmaceutiques et biocides et par l’Agence nationale du médicament vétérinaire (au sein de l’Anses) pour les antiparasitaires à usage vétérinaire.
Les autorisations de mise sur le marché nationales doivent respecter la liste des substances actives autorisées fixée par les textes européens relatifs à la production et à l’autorisation des pesticides. Avant de pouvoir utiliser une substance active dans un produit phytopharmaceutique en Europe, cette substance doit donc préalablement avoir été approuvée par l’UE.
La législation de l’Union européenne se compose de règles régissant la commercialisation et l’utilisation de catégories particulières de substances chimiques, d’un ensemble de restrictions harmonisées s’appliquant à la mise sur le marché et à l’utilisation de substances dangereuses et de protocoles relatifs à la gestion des accidents graves et des exportations de substances dangereuses. Les deux principaux textes de l’UE dans ce domaine sont :
- le règlement CLP (classification, étiquetage et emballage des produits chimiques dangereux) de 2008 ;
- le règlement REACH de 2006 (enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques, ainsi que restrictions applicables à ces substances).
Deux organismes européens sont principalement chargés d’évaluer la dangerosité des produits chimiques pour l’être humain. Il s’agit de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui évaluent et conseillent les autorités européennes et les États membres.
Par ailleurs, les législations européenne et nationales s’appuient sur les études du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), placé sous l’autorité de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Celui-ci a publié en novembre 2011 une revue complète de plus de 100 agents chimiques, physiques, professionnels, biologiques, qui ont fait l’objet d’une classification en tant que cancérogènes pour l’homme.
La politique de l’UE en matière de substances chimiques a subi un bouleversement majeur avec l’introduction, en 2006, du règlement REACH. Ce règlement, entré en vigueur le 1er juin 2007, établit un nouveau cadre juridique sur le développement et les essais, la production, la mise sur le marché et l’utilisation des substances chimiques.
Sur les pesticides, il existe une réglementation socle qui s’inscrit dans un mouvement de contrôle de ces substances, notamment dans l’agriculture. Selon l’EFSA, il existe un vaste corpus de textes réglementant les produits phytosanitaires, ces produits étant notamment encadrés par le règlement (CE) n°1107/2009.
La politique de la France s’inscrit dans une volonté de réglementer l’usage des pesticides de manière plus stricte que d’autres États de l’UE.
Le plan Écophyto initial a été mis en œuvre dès 2008. Puis, le plan Écophyto II+ prévoyait notamment d’accélérer le retrait des substances les plus préoccupantes, d’accompagner la sortie du glyphosate et la baisse de 50% de l’usage de pesticides à l’horizon 2030 par rapport à 2015-2017.
Toutefois, à la suite du mouvement des agriculteurs de janvier 2024, la dernière version du plan Écophyto a été suspendue temporairement afin d’être débattue entre acteurs de la protection de l’environnement, agriculteurs et gouvernement. Dans un discours du 21 février 2024, le Premier ministre Gabriel Attal a indiqué l’abandon de l’indicateur français servant à mesurer la réduction de l’usage des pesticides, le Nodu (« Nombre de doses unités« ), cet indicateur devant être remplacé par l’indicateur européen de « risque harmonisé« (HRI1).
C’est dans ce contexte que la nouvelle stratégie, dénommée Écophyto 2030, a été publiée le 6 mai 2024. La stratégie 2030 confirme le remplacement de l’indicateur Nodu au profit de l’indicateur européen HRI1. Alors que le Nodu correspond au « nombre de traitements théoriques appliqués à pleine dose sur une surface d’un hectare« , le HRI1 propose des résultats qui sont pondérés d’après la nocivité des produits utilisés par rapport à une classification européenne. Le plan Écophyto 2030 continue toutefois de poursuivre l’objectif de réduction de l’utilisation des pesticides de 50% d’ici à 2030 mais selon le nouvel indicateur HRI1 et par rapport à la période 2011-2013 (période de référence de l’indicateur HRI1).
Le nouveau plan prévoit aussi de mener des études comparatives permettant éventuellement de remplacer les produits phytoparmaceutiques par d’autres produits non-chimiques ou moins dangereux pour l’homme et les écosystèmes. Des substitutions au glyphosate seront particulièrement étudiées.
Par ailleurs, la ministre déléguée auprès du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, Agnès Pannier-Runacher, a lancé, le 18 avril 2024, une concertation sur la réforme du conseil stratégique à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques chargé d’orienter les agriculteurs sur une trajectoire plus sobre concernant l’usage de produits phytosanitaires.
Selon le document publié par le ministère en charge de l’agriculture, la nouvelle stratégie Écophyto 2030 s’inscrit dans une « perspective d’alignement européen, nécessaire à la cohérence des politiques publiques menées au niveau européen » à la fois sur les questions de concurrence et d’environnement. L’utilisation de l’indicateur HRI1 entre dans cette perspective.
Le HRI1 classe les substances actives en quatre catégories, auxquelles correspond pour chacune un coefficient de pondération :
- catégorie 1 – coefficient 1 (substance à faible risque) ;
- catégorie 2 – coefficient 8 (toutes les autres substances actives qui ne relèvent pas des autres catégories) ;
- catégorie 3 – coefficient 16 (substances candidates à la substitution) ;
- catégorie 4 – coefficient 64 (substances non-autorisées).
Source : vie-publique.fr